Rashomon

Dans le cadre de Ciné Collection proposé par le GRAC pour voyager dans l’histoire du cinéma.

Séance unique le jeudi 13 janvier à 18h30.

 

A propos du titre :

らしょうもん 羅生門 rashoumon : la porte du Dieu Rashô

Le porche du temple de Rashô (dieu de la mythologie bouddhiste). Également le nom du film célèbre d’Akira Kurosawa, inspiré de deux nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke.

Rashômon est en effet inspiré de deux nouvelles de l’écrivain japonais Akutagawa Ryunosuke, « Dans le fourré » et « Rashômon », elles-mêmes inspirées de légendes médiévales nipponnes. Le titre, Rashômon, signifie quant à lui « la porte du dieu Rashô ».

Le mot « Rashomon » est entré fin 2008 dans le prestigieux Oxford English Dictionary, qualifiant les interprétations contradictoires d’un même événement par différentes personnes et directement tiré du film d’Akira Kurosawa.

L’histoire : Kyoto, au Xe siècle. Sous le portique d’un vieux temple en ruines, Rashômon, trois hommes s’abritent de la pluie. Les guerres et les famines font rage. Pourtant un jeune moine et un vieux bûcheron sont plus terrifiés encore par le procès auquel ils viennent d’assister. Ils sont si troublés qu’ils vont obliger le troisième voyageur à écouter le récit de ce procès : celui d’un célèbre bandit accusé d’avoir violé une jeune femme et tué son mari, un samouraï. Le drame a eu lieu dans la forêt à l’orée de laquelle est situé le portique de Rashômon. L’histoire est simple : Qui a tué le mari ? Le bandit Tajomaru, la femme, un bûcheron qui passait ou le mari lui-même qui se serait suicidé ? Autant d’hypothèses vraisemblables. Mais les dépositions des témoins devant le tribunal apportent à chaque fois une version différente du drame, et la vérité ne percera qu’après de nouvelles révélations surprenantes…

Le film dans son contexte historique :

Rashomon, œuvre charnière dans la filmographie d’Akira Kurosawa (son 12ème film sur les 32 réalisés), sort en salle au Japon en 1950. Le film connaît un succès mondial tant public que critique, il est le premier film asiatique à remporter le Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1951, le Prix de la critique italienne, ainsi que l’Oscar du meilleur film étranger. Une nouvelle ère s’ouvre pour le cinéma japonais qui va se lancer dans une intense production de Jidaï-geki ou films historiques. Le succès de ce film auprès du public et de la presse ouvrit alors les portes de l’Occident au cinéma japonais et permit de forger la réputation internationale de nombreux artistes japonais.

L’accueil du film en France : en 1951, la critique française découvre Rashomon primé à Venise. Face à ce film, elle traverse l’épreuve du vide : manque de références et de points de comparaison, questionnement quant à l’impact sur les spectateurs du pays d’origine, ébahissement devant tant d’originalité. Va naître alors une polémique historique entre les deux plus importantes revues de la cinéphilie française : Les Cahiers du Cinéma et Positif, toutes deux récentes et désireuses de s’imposer par des positions tranchées et qui vont notamment confronter les films d’Akira Kurosawa à ceux de Kenji Mizoguchi.(1898-1956)

Le tournage du film : le film a été réalisé pendant la période d’occupation américaine du Japon, pendant laquelle la production cinématographique était étroitement contrôlée et pouvait mener à des interdictions d’exploitation immédiates. L’évocation de samouraïs et de combats au sabre étaient interdits, et Akira Kurosawa rencontra des difficultés pour produire son film, qui ne fut autorisé que par l’assouplissement de la censure due à la guerre de Corée.

La compagnie productrice Daiei ne finança le film que parque Kurosawa avait promis un faible budget. Trouvant le film trop étrange et voué à l’échec, elle exprima sa réprobation lorsque le film fut sélectionné pour la Mostra de Venise de 1951. Kurosawa fut d’ailleurs étonné de cette sélection et, lui-même, bien que satisfait, aurait préféré que cela concerne un film plus contemporain pour sa portée symbolique (la reconnaissance du nouveau cinéma japonais au lendemain de la seconde guerre mondiale).

Le réalisateur souhaite pour ce film, s’inspirer du cinéma muet (en particulier français d’avant-garde, des années 20 [Par exemple : Louis Delluc La Femme de nulle part dont le décor naturel montre le désarroi] : pour travailler l’ombre et la lumière, le “fourré” devient une forêt, un cadre naturel est choisi (forêt de Nara). Le chef opérateur est Kazuo MIGAYAWA, avec lequel KUROSAWA voulait travailler depuis longtemps.

Quant aux assistants, ils sont affectés par la DAIEI et se plaignent au réalisateur de la complexité du scénario : ‘Nous n’y comprenons rien !” La réponse d’AK : “Vous dites que vous ne comprenez rien à ce scénario, mais c’est le cœur humain lui -même qui est incompréhensible…” La réponse malheureusement n’a pas convaincu le 1er assistant, qui s’est mis en colère, ce à quoi KUROSAWA a remédié en le renvoyant.

Les acteurs eux sont tous connus et très appréciés du réalisateur ; c’est une véritable troupe qui se forme, jeune et enthousiaste, lors du tournage en forêt pendant l’été 1950 particulièrement chaud.

Rashomon et les codes du cinéma : Kurosawa n’avait pas l’intention de raconter une enquête sur un meurtre perpétré dans le Japon médiéval. Le film n’est pas conçu pour raconter ou divertir mais il est construit pour nous faire réfléchir. Bourré d’allégories, fable sur la nature humaine, il laisse libre cours à l’interprétation, aussi bien à travers les différents témoignages des protagonistes, que par les mises en scène proposées

La narration : à la lecture du synopsis, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’un récit conventionnel et il n’est guère étonnant que cela ait déstabilisé les critiques de l’époque fréquemment habituées à un scénario plus linéaire. Rashômon est assez unique car il ne délivre pas un fil conducteur narratif clair mais plusieurs fils conducteurs basés chacun sur les dépositions des témoins, chacune différente l’une de l’autre où l’on en vient à douter de qui dit la vérité.

Une dimension presque burlesque prend  forme et Kurosawa pointe le doigt sur toute l’absurdité du tribunal, théâtre du mensonge et lieu dans lequel rien n’est sûr. Cette dimension théâtrale n’est pas seulement une métaphore mais constitue aussi l’ensemble de l’œuvre tant dans la mise en scène que dans la réaction des personnages. Réactions souvent volontairement exagérées, typiques du cinéma japonais, avec ces rires qui nous abîment presque les tympans ou encore les sanglots interminables de la femme.

Les flashback occupent la plus grande partie du film et organisent une remémoration plurielle, fragmentée, avec des points de vue différents, personnels, de nature différente : confession /témoignage/ fantasme ? Ce qui sur le plan cinématographique interroge à la fois la puissance de l’image à laquelle le spectateur adhère comme images du réel, mais aussi sa relativité puisque chaque témoignage va effacer ou remettre en cause le précédent. Véritable jeu de kaléidoscope : kaléidoscope des effets de lumière de la nature sur les humains, des humains sur la parole, des images sur le cinéma.

Les décors : cette façon de dérouler l’histoire, accentue l’importance des décors très succincts limités à un portique en ruine, une forêt et un tribunal qui lui, ne sera filmé que face à chaque personnage faisant sa déposition. Le décor écrase parfois les personnages de par sa taille comme pour les ramener à plus d’humilité. Le décor du tribunal se réduit à un espace neutre blanc avec en avant-plan le personnage en train de témoigner et en arrière- plan, petits, sur la droite, les autres témoins assis en tailleur. Chaque personnage est face à nous et s’adresse directement à nous, afin de nous convaincre que sa version est la bonne.

La lumière : dans ce film tourné en noir et blanc, on découvre tous les gris colorés de la palette et de très subtils jeux d’ombre et de lumière. Akira Kurosawa, élève aux Beaux-Arts en 1929 et membre de La Ligue des artistes prolétariens, aurait aimé devenir peintre. On dit qu’il a été le premier à filmer directement le soleil. Dans certaines scènes, le soleil sert de révélateur, filtrant les feuillages de la forêt, ombres des feuilles et rayons du soleil se reflètent sur le visage de Tajomaru endormi au pied d’un arbre

Des plans magnifiques, à la fois très esthétiques et pleins de charges symboliques liés aux thèmes traités. Gros plans rapprochés et plans larges comprenant avant-plan et arrière-plan alternent et captent notre attention. Une façon inhabituelle de poser la caméra en plongée ou contre plongée. De longs travellings et parfois des plans qui se succèdent de manière un peu hâchée (notamment dans les combats).

Kurosawa n’hésite pas à perturber la scène représentée à l’écran par l’utilisation de nombreuses prises de vues différentes, et s’oppose ainsi au traditionnel raccord 180° (voir article détaillé ci-dessous) développé par Hollywood. Par l’utilisation de mouvements fluides de caméra plutôt que d’un montage conventionnel, il tend également à intégrer une dimension spatiale dans la narration temporelle.

Le raccord dans l’axe : dans ses films des années 1940 et 1950, Kurosawa utilise fréquemment le raccord dans l’axe. La caméra se rapproche ou s’éloigne du sujet, non pas par le biais d’un travelling ou d’un fondu enchaîné, mais par une série de plans rapprochés.

Le style de Kurosawa est également marqué par son usage du volet (wipe en anglais). Il s’agit d’un effet créé par une imprimante optique, qui consiste, à la fin d’une scène, à faire apparaître une ligne ou une barre qui se déplace sur l’écran, effaçant l’image et révélant simultanément la première image de la scène suivante. En tant que dispositif de transition, il est utilisé comme substitut de la coupe directe ou du fondu enchaîné (bien que Kurosawa, bien sûr, ait souvent utilisé ces deux dispositifs également). Dans ses œuvres les plus abouties, Kurosawa utilise le wipe si fréquemment qu’il en devient une sorte de signature.

Il existe un certain nombre de théories concernant l’objectif de ce dispositif qui était courant dans le cinéma muet mais se faisait plus rare dans le cinéma sonore et réaliste. Goodwin affirme que les volets dans Rashōmon, par exemple, remplissent l’un des trois objectifs suivants : accentuer le mouvement dans les travellings, marquer les changements narratifs et marquer les ellipses temporelles entre les actions (par exemple entre la fin du témoignage d’un personnage et le début de celui d’un autre).

La bande originale de Fumio Hayasaka : d’abord légère puis théâtrale, elle s’efface finalement pour laisser le dernier récit, supposé « le plus vrai », dans le silence et l’épure. Une manière de dire que même si rien n’est résolu, même si la vérité est plus éclatée que jamais, l’humanité l’emporte avec pudeur et poésie, dans la fragilité d’une promesse.

Un film à connaître absolument : baroque, plein de vitalité, à caractère intemporel et universel, qui vient nous mettre face à nos faiblesses, nos mensonges, nos lâchetés, qui soulève la relativité de la vérité, mais conclut sur la foi en l’Homme. Un film philosophique, qui désoriente et fascine par la beauté de ses images et de leur mise en scène.

Sylviane Llobell

 

La règle des 180 degrés par Isabelle Bebo (http://www.bebocommunication.fr)

La règle des 180 degrés est la règle qui permet de filmer un champ/contre-champ. Ne pas respecter cette règle de tournage peut rendre le montage illisible.

La règle des 180 degrés n’est pas la seule règle de cadrage à connaître, mais elle est sans doute la plus importante. En effet, elle permet au cerveau du spectateur de comprendre la position des deux personnages filmés, l’un par rapport à l’autre, ainsi que dans le décor. La règle des 180 degrés est donc indispensable pour filmer un champ/contre-champ réussi. La règle des 180 degrés est une règle de positionnement des caméras lors du tournage. La quasi-intégralité des films respectent cette règle simple. Pour autant, il arrive que de temps en temps elle soit trahie pour donner des effets de style.

Un champ/contre-champ est le fait de filmer deux personnages qui ont une interaction. La plupart du temps, cette interaction est une conversation (dialogue, interview, etc.). Nous allons voir ici la règle des 180 degrés pour deux personnages qui se font face, mais celle-ci est également valable pour tous les autres cas de figure (dos à dos ou côte à côte, par exemple).

   Champ                                   Contre champ

Dans ces deux plans qui se succèdent, on comprend que les deux personnages sont face à face et qu’ils discutent. Le champ/contre-champ est réussi.

placement de la première caméra fig.1               fig. 2 placement de la première caméra 

On voit ici les deux personnages en train de jouer la scène. Une caméra a été placée pour filmer le champ, c’est-à-dire l’axe face au garçon.

Fig 1 : La ligne jaune au sol est imaginaire. Il s’agit d’une droite qui passe par nos deux protagonistes

Fig 2 : scène vue de dessus. On voit les deux personnages et la ligne qui les relie.  Cette ligne est la ligne des 180 degrés. La première caméra est placée à droite de la ligne.

La règle des 180 degrés : lorsque l’on place la 2ème caméra, on ne doit en aucun cas lui faire traverser la ligne. On peut donc la positionner (presque) où on le veut dans le bleu. Mais toute la partie rose est interdite !

Ci-dessous la 2ème deuxième caméra est placée !

les caméras sont bien positionnées pour respecter la règle des 180 degrés