La Vénus d’argent.

Film de HELENA KLOTZ (France / 2023 / 1h35)
Avec: Claire Pommet, Niels Schneider, Sofiane Zermani

Jeanne Francoeur (la révélation Claire Pommet, pour la première fois à l’écran et mieux connue sous son nom de chanteuse, Pomme) a 24 ans et dans ses bagages, une très bonne école de commerce. Vivant dans une caserne de gendarmerie de banlieue parisienne avec son père lieutenant (Grégoire Colin) et ses (beaucoup plus) jeunes
frères et sœurs, elle tente de se faire recruter en tant que quant (trader algorithmique) dans des banques ou des sociétés d’investissement.

Mais en dépit de ses dons arithmétiques, de l’armure d’un costume, d’une allure de garçon manqué quasi androgyne et d’un esprit très acéré, le pont est extrêmement difficile à franchir dans un environnement professionnel violent dont elle ne maîtrise pas tous les codes, jusqu’au jour où une fenêtre s’ouvre, à l’occasion d’un stage.
Avec une chanteuse et un rappeur (Sofiane Zermani), Héléna Klotz réalise avec la Vénus d’argent son troisième long-métrage.

« Je ne réfléchis pas en termes de récit et de trame mais d’espaces et de mondes. Je suis partie de deux mythologies. D’un côté la caserne de gendarmerie et les barres d’immeubles de la banlieue, et de l’autre la finance et les tours des quartiers d’affaires. »

C’est un film subtil qui oscille entre deux univers : celui, implacableet sans chaleur de la finance, et celui plus vrai mais pas toujours facile d’un monde populaire.

Ce film a été présenté en Avant Première lors des dernières Rencontres en présence de la réalisatrice.

La Vénus d’argent est le choc féministe et esthétique de 2023

(Vogue – Lolita Mang – novembre 2023)

On ne sait pas exactement ce qui nous a le plus marqué : la voix de Pomme, ou Claire Pommet, qui incarne Jeanne, jeune femme de 24 ans qui cherche à réussir sa vie dans le monde très masculin, et impitoyable, de la finance ? Ou bien l’oscillation discrète, mais sublime, entre lumière bleue et lumière jaune, orchestré par l’excellent chef opérateur Victor Seguin (dont vous avez peut-être découvert le travail dans l’hypnotisant Gagarine, réalisé par Fanny Liatard et Jérémy Trouilh) ? Cela va sans dire : le nouveau long-métrage d’Héléna Klotz a plus d’une corde à son arc, et n’a rien laissé au hasard et ce, jusque dans sa musique profondément envoûtante, imaginée par le frère cadet de la cinéaste, Ulysse Klotz.

La Vénus d’argent est une fable sur le genre, sur la classe sociale, mais aussi sur le pardon et la réparation. Peut-être finalement, sur le simple fait d’être une jeune femme au XXIème siècle, avec les épreuves que ce statut porte en lui. En offrant le premier rôle à la chanteuse Claire PommetHéléna Klotz fait un choix très judicieux, tant elle épouse le personnage à la perfection, en l’habitant par sa voix d’abord, par son regard ensuite, et puis par tout son corps, en entier. Oui, La Vénus d’argent est un film organique – il doit être vécu par le corps. Comme Julia Ducournau avant elle, Héléna Klotz imagine un univers cinématographique porté par le physique, afin d’interroger au mieux “le genre, l’ambition féminine et la violence” selon ses propres mots.

La Vnus d'Argent Pomme Hlna Klotz
Fianso et Claire Pommet dans La Vénus d’argent© Les Films du Bélier

Un cinéma vécu par le corps

La première scène de La Vénus d’argent fait partie de ses plus iconiques. Une silhouette, vêtue d’une veste de moto, se jette au travers d’une vitrine de magasin afin de mettre la main sur un costume qu’elle ne peut se permettre d’acheter. Elle n’en sort pas indemne. Ainsi découvre-t-on Jeanne, incarnée par la géniale Claire Pommet, personnage mutilé dès les premiers instants du film, qui devra, pendant plus de 90 minutes, se (re)construire. “Quand j’ai lu le scénario, je l’ai trouvé très moderne, confie la comédienne à Vogue. J’avais l’impression de n’avoir jamais vu de tels personnages mis en scène au cinéma”. S’il serait téméraire de qualifier La Vénus d’argent de “body horror” (ce sous-genre cinématographique qui montre à l’écran des violences, souvent grotesques ou dérangeantes, faites au corps humain), force est de constater que le cinéaste David Cronenberg fait partie des références d’Héléna Klotz, aux côtés de Julia Ducournau : “Ce qui me plaît, c’est l’hybridité, sourit KlotzJ’ai vu beaucoup de films très différents, depuis toujours. Des films d’horreur, des films d’auteur… J’aime bien les choses impures”.

Hybride est un mot très utile pour définir La Vénus d’argent. Film d’initiation inspiré par la lecture marquante du Rouge et le Noir par sa réalisatrice, il est aussi un film contemplatif, où l’on retrouve la patte onirique de L’Âge atomique, le premier long-métrage d’Héléna Klotz. Il est également incisif, porté par un personnage principal métallique : “Jeanne n’est pas dans la séduction. Ce qui fait qu’elle est émouvante, c’est qu’elle soit un peu inadaptée. On peut se projeter en elle” précise la cinéaste. Celle qui a décidé d’engager Claire Pommet après avoir lu une de ses interviews dans Médiapart confie que sa voix est l’un des plus grands facteurs de son charisme : “Elle donne un accès sentimental au personnage. Et même Claire, par sa personnalité, amène beaucoup d’émotion”.

© Les Films du Bélier

Claire Pommet et Héléna Klotz, la rencontre artistique

Avant de se voir offrir le rôle de Jeanne, Claire Pommet ne s’était jamais essayée au cinéma. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manquait, venant de celle qui avait déjà passé de nombreux castings. Héléna Klotz se souvient de leur première rencontre, par Zoom : “Elle m’a dit qu’elle ratait tous ses castings ! Sa présentation était marrante parce que c’est le premier truc qu’elle m’a dit”. Pourtant, dès ce premier rendez-vous, c’est une évidence pour la cinéaste : Claire est Jeanne. Personne d’autre ne peut porter le personnage qu’elle a imaginé. S’ensuivent des mois de préparation durant lesquels le travail d’élaboration du protagoniste démarre et se peaufine, semaine après semaine. La chanteuse s’en souvient comme d’un moment pourvu de nombreuses difficultés : “La préparation a été beaucoup plus difficile que le tournage en lui-même. Héléna avait besoin de voir jusqu’où je pouvais aller en me poussant parfois dans mes retranchements. J’ai eu l’impression de ne jamais pouvoir y arriver, mais elle avait profondément confiance. Finalement, c’était ce que je recherchais en faisant du cinéma : je voulais sortir de ma zone de confort”. Héléna Klotz ajoute : “Ce qu’on a travaillé avec Claire, c’est le corps du personnage. Il fallait qu’elle trouve Jeanne par le corps. Elle peut être plus ou moins intense, et j’ai travaillé avec elle pour qu’elle soit intense tout le temps, mais elle était toujours juste”.

Au cœur de ce travail préparatoire, des dizaines de discussions fleurissent sur les goûts de Jeanne. Il est par exemple entendu que son caractère obsessionnel se manifeste par un aspect mono-maniaque. Sur les premiers jours du tournage, Claire Pommet ne boit que de l’Orangina, la boisson favorite de Jeanne. Sa personnalité se dévoile également dans les musiques d’illustration, qui font la part belle au gabber, sous-genre hardcore de la techno. Ainsi peut-on entendre résonner des artistes comme le producteur Paul Seul, du collectif Casual Gabberz, ou encore aamourocean, le groupe du frère d’Héléna KlotzUlysse. Ce dernier est à ce titre derrière la bande-originale du film, profondément inspirée par la musique de Vangelis produite pour le Blade Runner de Ridley Scott. “Le gabber, c’est assez épique comme musique, c’est même chevaleresque. Jeanne, c’est un chevalier d’aujourd’hui, affirme la cinéaste. “Pour bâtir l’identité du film, j’ai écouté beaucoup de bandes originales, comme celle de The Social Network. Mais je la trouve trop conventionnelle, je voulais quelque chose de plus singulier et réaliste”.

Claire Pommet dans La Vénus d’argent© Les Films du Bélier

Réparer les violences sexistes et sexuelles

L’une des trames narratives les plus intéressantes de La Vénus d’argent réside dans la relation entre les personnages incarnés par Claire Pommet et Niels Schneider. Ce dernier, ami d’Héléna Klotz, apparaît ici comme on l’avait rarement vu, en militaire égaré et incertain. Son lien au personnage de Claire Pommet est à la fois intriguant, flou et touchant, à mesure que l’on comprend la gravité des actes commis par le passé. Ici, Héléna Klotz choisit une issue qui n’est pas celle que l’on a l’habitude de voir au cinéma : la réparation. “Souvent on me dit que les violences sexistes sont un sujet à la mode, mais, de Mouchette à Thelma et Louise, le sujet a toujours été présent. La différence, c’est que les femmes agressées meurent presque systématiquement à la fin. Ce que j’avais envie de mettre en scène, c’est cette notion de futur. Transformer l’injure, c’est très important pour moi”.

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