Film de JUAN SEBASTIAN VASQUEZ ET ALEJANDRO ROJA (Espagne / 2024 / 1h17)
Avec: Alberto Ammann, Bruna Cusí, Ben Temple
Synoposis: Projetant de démarrer une nouvelle vie aux États-Unis, Diego et Elena quittent Barcelone pour New-York. Mais à leur arrivée à l’aéroport, la Police des Frontières les interpelle pour les soumettre à un interrogatoire. D’abord anodines,
les questions des agents se font de plus en plus intimidantes. Diego et Elena sont alors gagnés par le sentiment qu’un piège se referme sur eux…
L’avis de Rodolphe (groupe Programmation)
Autant vous le dire tout de suite, bien que ce jeune couple Catalan songe au voyage d’une vie en pensant s’établir aux Etats-Unis, le voyage va se restreindre aux bureaux de la police des frontières d’aéroport. Une lutte oratoire ou chaque mot est pesé – que ce soit en anglais ou en espagnol – entre ces deux « amoureux » et leurs interrogateurs va s’engager. Nos tourtereaux réussiront-ils à déjouer toutes les questions piégeuses qui les assaillent pour enfin prendre leur envol vers une nouvelle vie ? Rien n’est moins sûr car comme nous le rappelle habilement le son de la radio dans le taxi de la première scène, ce film se passe sous l’ère Trump et son ambiance parano, ultra-protectionniste. On est bien loin du pays de la Deuxième chance. Désormais tout étranger est une menace et nos policiers de l’immigration l’ont bien intégré ! La mise en scène est habilement faite avec ce qu’il faut de gros plans pour faire monter la tension et le stress du personnage de Diego. Un film à dispositif autour d’une idée exploitée avec habileté. Dommage que le film semble finalement à charge contre Diego et tous ceux qu’il représente. Est-ce quelque chose qui a échappé aux deux cinéastes pour pimenter la complexité psychologique du personnage ? Sans doute un peu mais on ne leur en tiendra pas trop rigueur du fait de la belle mécanique de ce film qui se termine sur une belle pirouette cynique qui devrait calmer vos envies de grands espaces américains.
«Border Line», viles frontières
Le duo de cinéastes d’origine vénézuélienne Juan Sebastián Vásquez et Alejandro Rojas filme un couple dans la zone de transit de Miami projetant de s’installer aux Etats-Unis sous l’ère Trump. Un huis clos aiguisé au suspense implacable.
De part et d’autre des couloirs étroits éclairés encore au tungstène, l’enfilade des bureaux où la police des frontières mène les interrogatoires. Entre quatre murs, la table, quelques chaises, le plafonnier au néon. Alentour, une rumeur indistincte, quantité de bruits inidentifiables, réalistes ou aberrants (parfois une mitrailleuse ou un bombardement). Dans la nudité des plans et la condensation sonore, la parole et le découpage, tout est là, anonymement déployé sur une zone d’inconfort crescendo : Border Line, précis de fiction claustro et lino, huis clos d’aéroport. On se croirait à l’arrivée d’immigrés dans un pays en dictature, nous sommes dans la zone de transit de Miami, Etats-Unis, nation alors sous présidence Trump dont on entend dès l’ouverture la voix de canard atrabilaire vanter la construction du mur étanche à la frontière du Mexique.
Elena et Diego, jeune couple hispanophone – elle est Espagnole, lui Vénézuélien –, ne savent pas ce qu’ils fichent dans cette salle d’attente puis cette salle d’interrogatoire, dans ces limbes aéroportés. L’angoisse monte de discerner de quelle autorité – et de quelle suspicion – s’autorisent les uniformes face à eux, les assaillant de questions, dans cette subite remise en cause de leur «entrée en Amérique» pour une nouvelle vie. Cette zone frontière comme «no zone» délimite un entre-temps, un passage (obligé). Au bout : l’enfer ou le paradis après la purge administrative. Le film s’absorbe entièrement dans cette attente, l’épaisseur du silence entre les mots.
Panic room
Le duo de cinéastes (d’origine vénézuélienne et sachant de quoi ils parlent), Juan Sebastián Vásquez et Alejandro Rojas, met au point la mécanique implacable de stress et de suspense d’un grand petit film de série B. Border Line est aussi ramassé et géométrique qu’un Hitchcock anglais, avec son thème du vrai faux coupable (et le tic aux yeux de l’acteur), le temps du récit se distribuant selon une logique d’échange d’informations et d’aiguillage des corps : chacun enquête sur l’autre, bientôt doutant de vraiment connaître celui qui partage sa couche ou son côté du bureau. Le brouillage des identités devient le lieu du danger, de la peur, la conscience des protagonistes devient une panic room. Dans l’aéroport, les inquisiteurs testent les limites d’une géographie politique et psychologique, la dernière frontière de la raison.
Film serré comme un poing, Border Line cerne ses enjeux admirablement : le couple d’une part (lignes adjacentes, Elena et Diego côte à côte), le soupçon d’autre part (lignes perpendiculaires, confrontation de l’interrogatoire). L’idée du «côte à côte» a rarement été filmée de façon aussi aiguisée, en contrepoint du champ contrechamp. Check-in et check-out sont les axes de vérification (to check) des existences pendant la durée brève d’un film basé entièrement sur la parole. La violence de l’autorité (qui ne répond plus de rien) passe au crible toutes les couleurs des sentiments en face – le spectateur devient le migrant. De l’humiliation à l’accès fier, du doute raisonnable à la terreur, chaque pulsation de l’épreuve de force est scrutée, la mise en scène saturée de circulation anxieuse.