SYNOPSIS : À la suite de morts suspectes, Inès Léraud, jeune journaliste, décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. À travers ses rencontres, elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social. Face aux pressions, parviendra-t-elle à faire triompher la vérité ?
En Bretagne, le tournage d’un film sur les algues vertes fait face à une défiance locale
par Elodie Auffray, Correspondante en Bretagne ( 30 septembre 2022 – Libération)
L’équipe de tournage du long métrage de Pierre Jolivet, une adaptation de la BD d’Inès Léraud, «Algues vertes, l’histoire interdite», a dû se confronter aux réticences de certains élus locaux.
Dans l’ouvrage, succès d’édition, elle retrace son enquête sur le fléau des algues vertes qui prolifèrent dans certaines baies bretonnes, symptômes des dérives de l’agriculture intensive. Elle y raconte les victimes des algues, les multiples tentatives d’alerte, les appels à changer de modèle agricole et dépeint le manque de réaction des pouvoirs publics et le poids de l’agro-industrie dans la région. Pierre Jolivet a cherché à «en faire une histoire de cinéma», avec «une héroïne» et «de l’émotion», mais «sans trahir la réalité». Le thriller «pose les problèmes, mais certainement pas de façon manichéenne. Il interpelle le système», défend le réalisateur.
Complicité des habitants
Mais le tournage, en grande partie dans les Côtes-d’Armor, a rencontré plusieurs obstacles. Des élus de la région de Lannion ont refusé d’y concourir. Notamment François Ponchon, le maire de Saint-Michel-en-Grève, où sont morts un joggeur en 1989 et un cheval en 2009, dans des amas d’algues en putréfaction. «On ne souhaitait pas apporter une aide sur ce film qui est très à charge. Depuis dix ans, des efforts ont été faits, avec une baisse des taux de nitrates et de la quantité d’algues. Le synopsis n’en tenait pas compte», reproche l’édile, considérant que «ce n’est pas la peine de ressasser le passé».
Il a donc fallu s’adapter : si rien n’interdisait de tourner sur la plage, «on ne pouvait pas bloquer une route ou des places de parking», relate Inès Léraud. Il a fallu filmer caméra à l’épaule et se débrouiller pour réserver, avec la complicité d’habitants, les stationnements nécessaires à la logistique. D’autres scènes ont été tournées dans la commune voisine de Plestin-les-Grèves, qui a accueilli la production «sans sourciller», tout en demandant «d’insérer un texte à la fin pour expliquer tout ce qu’on a fait depuis trente ans», souligne le directeur des services municipaux, Gildas Lamandé.
Autre moment clé, autre encombre : la mort de Thierry Morfoisse, un ramasseur d’algues vertes décédé d’un malaise cardiaque au volant de son camion-benne en 2009, entre la plage de Binic et la décharge de Lantic, près de Saint-Brieuc. Le président du syndicat mixte qui gère cette déchetterie a d’abord fait savoir qu’il n’y était «pas favorable», avant d’indiquer, face aux réactions, que la question serait tranchée par l’ensemble des élus du syndicat : ils ont donné leur feu vert, par 26 voix sur 31. Député (Modem) des Côtes-d’Armor et jusqu’à tout récemment maire d’Hillion, commune la plus touchée par les algues vertes, Mickaël Cosson est de ceux qui ont voté pour, tout comme il a autorisé le tournage. «On n’a rien à cacher, contrairement à ce qu’ils font croire. C’est très vendeur, mais aujourd’hui, on est plutôt à essayer de trouver des solutions qu’à mettre les choses sous le tapis», attaque-t-il.
«Rapport de force»
Egalement pointée du doigt pour son absence de soutien financier, la région Bretagne a annoncé qu’elle accorderait une aide et assure que «le projet a suivi le processus habituel d’étude de dossier». La collectivité a recours pour ces subventions à un comité indépendant composé de professionnels du cinéma. «Il y a eu un refus pour l’aide à l’écriture, puis un ajournement pour l’aide à la production», précise encore la région, qui parle de «procédure fréquente». «Peut-être que la mobilisation en faveur du film a guidé leur choix, elle a montré qu’il y avait une demande populaire en Bretagne et que ce serait un peu étrange qu’un film aussi attendu et nécessaire ne soit pas soutenu», analyse de son côté Inès Léraud.
«On a réussi à sauter toutes les haies. Certaines qui sont tombées toutes seules, d’autres qu’on a dû faire tomber. On a bataillé, avec les associations, on a instauré un rapport de force», résume Pierre Jolivet, qui entend bien organiser des avant-premières dans la région quand le film sera prêt, «au printemps».