Godard et Tanner: disparition de deux grands cinéastes.

Deux cinéastes disparaissent, deux grosses pointures, deux Suisses (enfin un et demi), deux anciens invités à nos Rencontres. Leur mort me touche plus que celle de la reine d’Angleterre. J’évoquerai ci-dessous mes souvenirs du passage d‘Alain Tanner aux Quatre Cents Coups, et un mystérieux MJ relatera ses contacts avec Jean-Luc Godard en notre capitale de la cinéphilie.

Guy Reynaud

                                                                       

 

 

Alain Tanner aux 400 coups

Alain Tanner aura moins droit aux tartines nécrologiques que son concitoyen. C’est cependant un réalisateur qui a fortement marqué l’histoire de la cinéphilie helvétique et jouira même d’une audience mondiale. Il s’aguerrit auprès des gens du Free-Cinema à Londres. Il  participe à Genève à la fondation du Groupe 5 aux côtés de Goretta, de Soutter… Eclosion magnifique du jeune cinéma suisse. Il est l’auteur d’une trentaine de films dont deux au moins sont devenus des classiques: Charles mort ou vif et La Salamandre. Ses œuvres ont été distinguées dans de nombreux festivals, dont Locarno ( léopard d’or) et Cannes (prix spécial).

1996, nous sommes quelques-uns à vouloir créer des rencontres cinématographiques à Villefranche.

Il faut choisir un grand nom pour parrain de cette première manifestation. Je suggère Alain Tanner. Mais acceptera-t-il de patronner un festival inconnu, (et pour cause), avec un nom pas très heureux: Films d’un peu partout parlant français! ?   

 Formidable, il est d’accord: ” Il faut encourager des gens comme vous ” Avec une réserve toutefois: ” si ma santé le permet “. Comme quoi on peut mourir à 92 ans après avoir été plus ou moins patraque toute sa vie.

2 Décembre: ouf, Tanner est là. Son physique de bourlingueur, comme l’aurait défini Cendrars, autre Suisse, cache une appréciable empathie. Il restera deux jours, le temps de nous présenter Dans la ville blanche, film magnifique qui, vérifiez-le, n’a pas pris une ride en 40 ans. Un marin déserteur,(Bruno Ganz) et mal dans sa peau, erre sur les pentes de Lisbonne avant qu’elle ne s’ouvre au tourisme. Mélange d’un cinéma poétique et d’un cinéma du discours, souligne Alain Tanner. Le lendemain, il nous offre Fourbi, qui vient de sortir: déambulation dans la Genève des origines, avec une comédienne presque inconnue, Karine Viard. Il nous parle des rapports quasi affectueux qu’il entretient avec ses comédiens, presque toujours choisis avant l’écriture du scénario, Viard étant l’exception. Et quels acteurs! François Simon, Bulle Ogier, Bruno Ganz, Jean-Luc Bideau, Juliet Berto….

Bref, ses deux interventions seront des succès, d’autant plus que notre parrain a une facilité d’expression, une précision, un enthousiasme dont nous avons gardé la trace intégrale dans un numéro spécial de l’Association l’Autre Cinéma. Toujours disponible sur demande, mais se hâter!

Guy Reynaud

 

Jean Luc Godard aux 400 Coups

JLG est venu deux fois dans nos salles. C’est un record mondial pour un petit cinéma de province.

La première fois, dès l’ édition inaugurale de nos Rencontres, pour présenter FOR EVER MOZART (1996).
Sa prestation fut si remarquable qu’elle a été publiée in extenso dans deux revues prestigieuses LA NRF et L’INFINI de Philippe SOLLERS qui eurent l’élégance de citer leur source*.
GODARD qui ne fait rien comme les autres ne répondit pas aux questions à la fin de la projection mais se lança dans une longue et brillante
introduction sur la genèse du film et développa une théorie audacieuse mais très élaborée sur les nations du cinéma (six selon lui : Russie,
Etats Unis, Allemagne, Italie, France et Japon). Cet exposé dura environ quarante minutes.
La seconde fois, il vint présenter ELOGE DE L’AMOUR (2001), aux côtés de sa compagne cinéaste Anne-Marie MIEVILLE pour son film APRES LA RECONCILIATION dans lequel il jouait.
Avec précaution, je lui avais dit que nous invitions celle-ci parce que nous aimions son film et non parce qu’elle était “Madame GODARD ” ce qui ne doit pas être simple tous les jours ajoutai-je perfidement, ce à quoi il rétorqua “si vous croyez que c’est facile d’être Monsieur MIEVILLE!”.
Cette fois-ci, ils se trompèrent de jour et n’arrivèrent depuis la Suisse que le lendemain de la date prévue, ce qui créa un branlebas d’organisation digne de Jacques Tati.
Nous sommes allés diner à L’EPICERIE où GODARD réclama des côtes d’agneau que le restaurant n’avait pas à sa carte.
Le patron, épaté d’avoir une légende à sa table, alla déranger le boucher d’à côté et le mets fraîchement coupé fut servi au Maître.
Maintenant, il me faut arriver au climax de cet article: comment suis-je parvenu à entrer en contact avec l’ermite de Rolle?
Par un stratagème proprement hitchcockien.
LES CAHIERS DU CINEMA avait édité un SPECIAL GODARD dans lequel était publié en coin de page un fac similé d’un courrier du cinéaste à la revue laquelle n’avait pas cru bon de masquer le numéro de téléphone figurant dans l’entête du document.
Avec une loupe, je déchiffre et je compose, le cœur battant, l’hypothétique numéro.
J’entends le bip qui tinte à l’international. On décroche !
Et là, banco ! Je reconnais en bout de ligne cette voix si particulière qui hantera encore longtemps la mémoire des cinéphiles du monde entier. Nous discutons vingt minutes. GODARD est aimable, attentif et taquin.
Quand je lui dévoile le nom de notre cinéma, il s’esclaffe: “Bon, en même temps, A BOUT DE SOUFFLE ou LE MEPRIS, ce n’est pas très
vendeur!”.
L’entretien se terminera par une simple promesse orale QUI SERA TENUE !
Allons-y ! Alonzo !
MJ
*
UN TRES GRAND CRU  DANS LES VIGNES DU SAIGNEUR Par Philippe SOLLERS
FOR EVER MOZART La genèse du film.
For ever Mozart est sans doute, avec JLG/JLG, l’un des plus beaux films de Jean-Luc Godard. L’idée du titre est venue très tôt. Dans un entretien donné lors de la présentation du film aux premières Rencontres du cinéma francophone en Beaujolais, en 1996, Godard déclare :
“J’ai essayé de me souvenir quand j’ai eu l’idée de ce titre : For ever Mozart. C’est venu d’un projet que j’avais avec l’éditeur de la musique du film, une société allemande, ECM Records, qui publie Keith Jarret, Arvo Pärt, des musiciens comme ça. Je voulais faire un film sur Mozart, à propos de Mozart, que j’avais déjà appelé For ever Mozart dans ma tête. Et je ne me souviens plus très bien quel était le sujet ou l’histoire. [Godard réfléchit :] c’était [l’histoire de] l’Américain qui, à Vienne, un jour d’ivresse, en 1945, avait tué Anton Webern. Voilà. Je ne m’en souviens plus très bien [1]. Je voulais appeler ça For ever Mozart, car il était reconnu par un critique à un moment donné pendant l’exécution d’une œuvre de Mozart. C’est comme ça qu’est venu le titre.
Le titre est trouvé. Le film ne se fait pas. D’autres projets voit le jour qui, eux non plus, n’aboutissent pas. Et puis, continue Godard : […] j’ai lu un article d’un écrivain, Philippe Sollers, qui était sur Marivaux, dans Le Monde des livres. Dans cet article qui s’appelait Profond Marivaux [2], où il parlait de Marivaux, à un moment il se moquait d’un écrivain américain que j’ai connu à l’époque où je faisais de la critique de cinéma, Susan Sontag, qui a écrit un beau livre sur la photographie, et qui, elle, montait une pièce de Beckett à Sarajevo. Et Philippe se moquait, ironisait là-dessus, en disant : « Il ne faut pas. Ils sont déjà assez misérables. Il ne faut pas monter du Beckett là-bas.
Il faut monter Marivaux ». Ça m’a donné l’idée de faire un film qui s’appellerait Les Jeux de l’amour et du hasard à Sarajevo. Et je suis allé acheter un Marivaux à la petite librairie de Rolle, là où j’habite en Suisse Romande. Mais ils n’avaient pas, bien sûr, de Marivaux. Par contre il leur restait un Musset qui était On ne badine pas avec l’amour. Et donc le film est devenu On ne badine pas avec l’amour à Sarajevo, qui sonnait beaucoup mieux, je trouve. Et bon, j’ai imaginé que dans ce film il y aurait deux ou trois jeunes gens qui partiraient pour monter cette pièce à Sarajevo. Ce seraient leurs aventures sur la route et les endroits où ils seraient arrêtés en cours de route. Et ils n’arriveraient pas jusque là-bas [3].

Pour les curieux:

GODARD TANNER FACE A FACE (1987) SUR LA TELE SUISSE ROMANDE :