Echos de festival: 30ème Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (FICA)

Echos de festival

30ème Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (FICA)

du 6 au 13 février 2024

Je suis fidèle depuis plusieurs années à ce festival car c’est l’embarquement pour l’Asie que, voyageuse toujours curieuse, j’ai eu l’occasion de sillonner.

De ce coin de Franche-Comté, nous allons à la découverte de filmographies de diverses contrées depuis le Proche à l’Extrême Orient avec des jeunes réalisateurs (fictions et documentaires) qui nous permettent d’approcher leur culture.

J’ai toujours plaisir à rejoindre ce festival, pas seulement parce qu’il satisfait mon goût de voyager, de sortir de l’hexagone et de tenter de comprendre où va notre monde bouleversé, mais aussi parce c’est le festival le plus accueillant.

Je peux recevoir par voie postale le catalogue de la programmation (bien plus précieux et utilisable qu’un site web) accompagné de l’affiche, de marque pages aux dessins délicats de l’affiche que l’on retrouve même sur le timbre de l’affranchissement.

Seul festival qui me permet de préparer tranquillement ma programmation avant d’arriver.

Festival 2024 90 films, 29 pays, certes un choix difficile et des frustrations en perspective.

De ce festival 2024, la proposition de 10 films du Kérala (État du sud de l’Inde) m’a particulièrement motivée et mon objectif a été de visionner tous les éléments proposés de ce cinéma kéralais qui, comme celui du Bengale Occidental, est une pépinière de jeunes auteurs et autrices s’intéressant aux aspects de la société indienne.

Mariage arrangé ou non, l’épouse devient l’esclave de la belle-famille comme dans The great indian kitchen de Jeo Baby. L’article 19 (1) (a) de la Constitution qui devrait garantir la liberté d’expression est au cœur du courageux et émouvant film 19 (1) (a) de la cinéaste Indu VS.

L’efficace et beau Pada de Kamnl KM, mis en scène comme un thriller sur fond humaniste montre que, pour défendre les droits des adivasis (indigènes), il n’y a que le terrorisme avec la prise en otage d’un collecteur d’impôts.

De l’usage et de l’impact des réseaux sociaux ; dans The rounds and the runners de Rarish G,, une jeune fille veut vendre sa virginité.

Tous les films de cette section, “Regard sur le cinéma indien du Kerala”, sont intéressants et efficaces et ont permis une approche juste de la réalité indienne ; mais il leur faut trouver des distributeurs.

A raison de 5 films visionnés par jour, j’ai pu passer de l’Iran au Sri Lanka, de l’Irak à la Corée, à Taïwan, à la Jordanie et même au Kazakhstan et en Ouzbekistan ; des voyages aériens écologiquement garantis !

Dans divers pays, le cinéma montre la situation de la femme et sa lutte pour avoir sa place dans une société qui lui nie tout droit.

Sur ce thème, il m’est difficile d’oublier le documentaire coup de poing A thousand girls like me de la réalisatrice afghane Sarah Mani. Kathera, violée depuis l’âge de 4 ans par son père, après 2 avortements et enceinte d’un 2ème enfant, décide, à 23 ans, d’engager une procédure juridique contre son père. Courageusement, elle s’exprime à la TV et doit assumer le danger encouru dans une société patriarcale. Difficile de sortir indemne d’un tel film.

En Jordanie, Inchallah, un fils de Amjad Al Rasheed. Devenue brutalement veuve avec une petite fille, Narwal découvre qu’elle n’a aucun droit sur les biens matériels acquis avec son mari et même sur la garde de sa fille. Sa belle-famille peut et veut la déposséder en l’absence d’un fils. Beaucoup d’émotions – Narwal essaie tous les moyens pour se défendre.

Un scénario plein de rebondissements, une mise en scène efficace et des interprètes excellents. Sortie le 6 mars 2024

Dans un contexte social plus aisé, en Arabie Saoudite, une jeune doctoresse décide d’affronter le candidat aux élections pour obtenir l’amélioration de l’accès aux urgences de son hôpital ; la cinéaste Haifaa Ai Mansour a voulu montrer un aspect positif de l’évolution culturelle de son pays dans The perfect candidate.

Dans la section “L’engagement”, le film Le Pardon de Remtash Sunaela et Maryam Moghaddam (interprète principale), dénonce l’usage de la peine de mort en Iran comme d’autres films qu’on ne peut oublier (Le diable n’existe pas de Mahammad Rasoulof (2020), présenté dans cette section ; 7 hivers à Téhéran de Steffi Niederzoll (2023) présenté aussi sur le Festival). Les cinéastes de Le Pardon s’intéressent à décrire les conséquences sur la vie de la veuve et de sa fille même lorsque l’innocence du mari est reconnue ; rien n’est simple pour une femme seule dans la société iranienne, elle doit rester sur ses gardes.

A Vesoul, il y a une rubrique spécifique à ce festival, le seul en France, autour du cinéma d’Asie En 1990, alors que les films asiatiques étaient peu diffusés, c’est à l’initiative de l’UNESCO que le “Network for the Promotion of Asia Pacific Cinema” a été créé.

Le Prix du Jury Netpac a récompensé, avec le Jury Internationnal le film Kazakh, Scream de Kenzhebek Shaikakov, un ovni venu de ce cinéma kazakh qui ne cesse de s’imposer comme l’a fait un certain Yerzhanow avec d’abord La tendre indifférence du monde puis L’éducation d’Adamoka.

Ici, c’est le 2ème long métrage de Kenzhebek Shaikakov. Dans un village paisible mais désolé, un père, né sans jambe, vit dans une relation d’affection avec son fils très attentionné. Un scénario simple. D’autres personnages, parfois étranges, entretiennent des rêves et une joie de vivre dans un paysage désolé. Une profonde humanité dans ce coin du bout du monde où ont eu lieu en 1980 et 1990 des expérimentations nucléaires totalement inconnues.

De l’humour, de la liberté dont les cinéastes kazakhs sont capables.

De l’Ouzbekistan, un autre film qui a ému les spectateurs qui ont décerné Le Prix du Public à Sunday de Shokir Kholikov. Dans une cour de ferme, le quotidien, les gestes d’un vieux couple bien ancré dans la tradition.Les deux se trouvent confrontés à la modernité imposée par leur fils par des biens matériels dont ils ne savent que faire (réfrigérateur, cuisinière). Il ne leur reste plus qu’à quitter leur maison. Une image superbe, beaucoup d’émotion à partir des gestes dans un monde en perdition.

Mes coups de coeur

Paradise du sri lankais Prasanna Vithanage, Prix du Jury Lycéen. Dans les paysages enchanteurs du Sri Lanka, un couple d’indiens arcboutés sur leur smartphone écoutent distraitement leur guide. La police intervient lorsqu’ils subissent un vol dans leur bungalow. Thriller où la police révèle son inefficacité, sa corruption et sa violence. Film courageux dans la dénonciation d’une réalité récurrente dans les pays d’Asie.

Un bon scénario avec un rythme soutenu.

Le léopard des neiges de Pema Tseden que j’avais beaucoup aimé à la Mostra de Venise en 2023, a reçu le Prix Inalco et le Cycle d’Or (prix spécial au Festival de Vesoul). Je souhaite un distributeur à ce film magnifique entre réalisme (ruralité tibétaine) et réalisme magique ou spiritualité dans le rapport possible de l’homme et de l’animal sauvage.

Puis-je avouer que j’ai pris un immense plaisir à suivre les courses-poursuites dans le magnifique Kung Fu, Pluie sur la montagne de King Hu (1978) (dans la section Cinéma de Taïwan). Charme absolu par les paysages, les couleurs, la lumière, la chorégraphie des arts martiaux.

Parmi tous les films visionnés une “pépite” The tree full of parrots de Jararaj R qui permettait au spectateur de se laisser aller dans une barque à travers les “back waters” du Kérala et leurs paysages magnifiques. De belles images et une amitié qui s’établit entre un garçonnet négligé par un père alcoolique et un vieil aveugle amnésique. Au fil de l’eau, Poonjan recherche le domicile du vieillard avec pour seul indice que devant il y a un arbre rempli de perroquets. Peu de paroles, mais beaucoup d’émotion. On voudrait continuer le voyage.

Avec une riche programmation, le FICA, a fêté dignement ses 30 ans entre tables rondes, fêtes…

30 000 spectateurs, un public toujours curieux et fidèle.

A bientôt au 31ème Festival de Vesoul qui aura lieu du 11 au 18 février 2025

Odile Dumoulin Orsini

De l’association de cinéphiles « L’Autre Cinéma » de Villefranche sur Saône.

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