Sur l’Adamant

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert, documentaire (1h49).

SYNOPSIS: L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.

«Sur l’Adamant» de Nicolas Philibert, la psychiatrie à flot

CRITIQUE (Libération)

Primé à Berlin, le documentariste filme ce centre d’accueil psychiatrique de jour installé sur une péniche à Paris et dresse une multitude de portraits où patients et thérapeutes sont à traitement égal, jusqu’à effacer les préjugés de normes.

En filmant ce centre d’accueil de jour unique en son genre – au cœur de Paris, il est situé sur une péniche –, Nicolas Philibert revient en pays connu, celui du soin psychiatrique. Dans la Moindre des choses (1997), il avait filmé la Borde, la clinique fondée par le psychanalyste Jean Oury dans les années 50, selon les principes de l’antipsychiatrie. Ici, l’ambition est plus modeste mais la curiosité est restée la même : en partant à la rencontre des visiteurs de ce bateau immobile, passagers réguliers ou hôtes occasionnels, Nicolas Philibert filme des angoisses et des ébahissements, des terreurs, des inspirations, brutalement précipités à la surface par le trouble psy, mais au fond communs à tous.

Tous sur le même bateau

Ce qu’il nous propose est alors moins l’exploration du fonctionnement d’un lieu – une institution, comme aurait pu le faire Frederick Wiseman – que le portrait d’une multitude ; multitude prise dans son quotidien, alternant les ateliers créatifs et les moments à prendre un café ou à cuisiner ensemble, sans que rien n’indique qui soigne et qui vient trouver un soutien sur la péniche. Alors qu’on se prend à chercher, dans les regards, les gestes, la parole, ce qui ferait signe vers la folie, ou à l’inverse vers la rationalité, on se rend compte à quel point cette norme est inopérante, le point de bascule étant toujours incertain entre intensité et délire, timidité et mutisme. Le film s’emploie, tout comme la philosophie du lieu l’y invite, à ne pas faire le tri, et à accepter le pacte que proposent d’emblée les personnes filmées : faire partie de la même histoire, tous sur le même bateau.

Ce qu’il reste à conquérir

L’Adamant, repaire d’artistes, vivier de solitudes explosives. Sorte de refuge idéal, d’arche de Noé au cœur de la ville violente, l’Adamant est une bonne nouvelle et l’on comprend que le jury du dernier festival de Berlin ait tenu à la célébrer en remettant l’Ours d’or à Philibert.

Néanmoins, le film ne se contente pas de souligner le travail accompli mais, en choisissant de conclure sur le coup de gueule d’une des patientes, fait signe vers ce qu’il reste toujours à conquérir : alors que celle-ci réclame depuis des mois de pouvoir animer un atelier de danse, elle sent qu’autour d’elle on fait la sourde oreille. Pourquoi ? Quelle barrière invisible, dressée même si c’est à son corps défendant par l’institution, l’empêche de transmettre son savoir ? Qu’est-ce qui ne fait pas d’elle une danseuse comme une autre ? C’est sur une crête de questions que se place le film, toutes celles que posent sans cesse les passagers de l’Adamant à la vie comme elle va.

par Laura Tuillier (Libération  le 18 avril 2023 )

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert, documentaire (1h49).

Berlinale 2023 : le documentaire «Sur l’Adamant» du Français Nicolas Philibert décroche l’Ours d’Or

Un documentaire sur la psychiatrie du Français Nicolas Philibert a décroché samedi 25 février l’Ours d’Or à la Berlinale, qui a décerné son prix d’interprétation à une fillette espagnole de seulement 8 ans, pour un film sur l’enfance et la transidentité.

Deux décennies après l’immense succès de Etre et avoir, le documentariste de 72 ans Nicolas Philibert connaît un nouveau succès. Après les bancs de l’école, le réalisateur s’est plongé dans l’univers psychiatrique. Sur l’Adamant, premier film d’une trilogie à venir sur le sujet, a été récompensé hier soir par l’Ours d’Or de la Berlinale, la plus prestigieuse récompense du festival de cinéma allemand.

Baptisé d’après le nom de la péniche amarrée sur les bords de Seine à Paris, le film, sans voix-off, scrute les visages des patients accueillis chaque jour sur le pont du navire. L’œuvre de Philibert montre la frontière qui se brouille petit à petit entre soignants et malades. Sur l’Adamant est «une tentative de renverser l’image que nous avons des personnes atteintes de folie», a expliqué le réalisateur en recevant son prix. «Les clichés sont tenaces, le film essaie de les détricoter (mais) il y a beaucoup de chemin à faire», a néanmoins concédé Nicolas Philibert.

Dans son film, on peut voir des patients participer à des ateliers thérapeutiques ou artistiques, et ainsi oublier leur statut de malade pour construire une vie commune «Les personnes les plus folles ne sont pas celles que l’on croit», a ajouté sur scène le réalisateur de ce film au long cours.

«Une histoire d’humanité et d’engagement»

Régulièrement, des documentaires sont sélectionnés dans les grandes compétitions internationales de cinéma. Mais ils sont rarement primés. En septembre dernier, la Mostra de Venise décidait pourtant de décerner son Lion d’Or au film documentaire Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras, une œuvre sur la crise des opiacés qui frappe les Etats-Unis depuis plus d’une décennie. Pour Philibert, recevoir le lion d’Or de Berlin «est une reconnaissance des films documentaires, mon type d’art», a-t-il salué, espérant que cela pourra aider d’autres documentaristes à développer leurs projets.

Le jury, qui comptait également les anciens titulaires de l’Ours d’Or Radu Jude et Carla Simon, ou encore l’actrice franco-iranienne Golshifteh Farahani, a choisi de récompenser la performance de l’Espagnole Sofia Otera, une fillette de 8 ans, pour son rôle dans 20 000 espèces d’abeilles. L’actrice en herbe a reçu le prix de la meilleure interprétation, une distinction non-genrée qui remplace à Berlin le prix du meilleur acteur ou de la meilleure actrice.

Dans le film réalisé par l’Espagnole Estíbaliz Urresola, Sofia Otera joue un enfant de neuf ans, né garçon et qui se considère comme une fille. La question du genre et de la transidentité, sur lesquelles de plus en plus de cinéastes se penchent, a été présente comme jamais au sein du palmarès berlinois. Ainsi, l’actrice trans autrichienne Thea Ehre a reçu le prix d’interprétation pour un personnage secondaire dans Till The End of The Night, et le penseur Paul B. Preciado, figure incontournable sur ces questions, a été récompensé dans les sections parallèles pour son premier film Orlando, ma biographie politique.

Au-delà du compétition, cette 73e édition a également vu Sean Penn venir présenter un documentaire sur ses pérégrinations dans l’Ukraine en guerre. Côté Ours d’or d’honneur, le chanteur de U2 Bono et le légendaire réalisateur Steven Spielberg sont venus récupérer leur statuette dorée.

par LIBERATION et AFP publié le 26 février 2023