Le 11 octobre à 18h,
Approches du cinéma vous invite à la projection du film de Jean Eustache Mes petites amoureuses et juste après à une rencontre-commentaire partagés en salle 3. Quelques membres d’Approches du cinéma dialogueront avec les spectateurs sur quelques aspects d’un film rare et prenant. C’est ouvert à tous !
SYNOPSIS:
Daniel, est un jeune garçon taiseux qui observe les filles avec convoitise. Il est élevé par sa grand-mère, à la campagne. Quand il atteint l’âge de 13 ans, sa mère, qui vit avec un ouvrier agricole dans un tout petit appartement à Narbonne, décide de le prendre avec elle. Daniel arrête l’école à contrecœur et entre comme apprenti chez un mécanicien. Il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers qui passent leur temps libre au café, à fumer et à échafauder des stratégies pour séduire les filles.
Mes Petites amoureuses, le plus beau film à voir de Jean Eustache
Bien sûr, il y a La Maman et la putain et ses quatre heures de discours amoureux (et érotique) qui n’ont pas pris une ride. Il y a aussi un film hautement recommandable et qui pourtant ne pourrait sans doute plus voir le jour aujourd’hui : Une sale histoire, avec Mickaël Lonsdale, qui raconte (sans le montrer) son amour de voyeur pour observer le sexe des femmes à travers un trou dans la porte des toilettes publiques…
Il faut tout voir de Jean Eustache, mais si vous deviez n’en choisir qu’un, commencez par sa petite merveille d’autobiographie adolescentes, Mes Petites Amoureuses.
Comment faire ? Comment s’y prendre ? N’ayant rien à dire – même à sa mère – et rien encore à faire (un baiser au cinéma nous apprendra qu’il deviendra cinéaste), Daniel, alter ego du cinéaste, traîne ses guêtres entre deux demoiselles et beaucoup d’inaction. C’est ce hiatus permanent entre une nature avenante, omniprésente, et sa nature à lui, encore impossible à assouvir, qui fait que tout ce qui pourrait être anodin dans Mes Petites Amoureuses touche au sublime. Autobiographique, le film d’Eustache mêle ses couples fabriqués pour un jour par une tendresse éphémère, au milieu des couleurs et des lumières de la nature la plus épanouie. De quoi nous astreindre avec délices au premières désillusions, annoncées en voix-off.
Visages et paysages de l’adolescence
L’impuissance à exister de l’adolescence s’épanche dans une vie végétative qui n’a pas besoin, elle, de s’assouvir. Mes petites amoureuses fait le portrait en creux, de ce manque, ce défaut initial, définitif, qui fait qu’on devient artiste. Eustache film les souvenirs de son Daniel morcelés par les fondus au noir, hachés par le temps, impossibles à enchaîner. Rien à faire, qu’à saisir la première fille qui passe pour se rassurer de sa mâle assurance (eh oui, on est au tout début des années 70…). Dégingandé, presque absent, Daniel est toujours obnubilé par la même chose. Tous les gens qui l’entourent – en bandes ou en couples – se retiennent par des liens d’occasion, jusqu’à la terrasse des cafés.
Le film le plus proustien de Jean Eustache
Aucune sensualité, aucun désir revendiqués, simplement ce besoin de voir comment le monde tourne et si on peut y appartenir. Pour Eustache, évidemment, la réponse est non. Et le film tout entier est construit sur cette enfance sans âge, obstinée, rude et vacante. D’où cette scène comique dans laquelle Daniel se prend littéralement pour un adulte avec le plus brillant premier degré, et décide de monter le même numéro que celui qu’il a vu au cirque, en s’allongeant sur du verre dénudé pour épater les regards autour de lui. Il ne risque pas de faire l’adolescent, il n’a déjà jamais été enfant…
Mes Petites Amoureuses filme l’autobiographie d’un cinéaste qui n’a pas eu le temps de grandir, déjà à part. Le vert paradis des premiers émois érotiques qu’on caresse pour voir, et qu’on reconstruit pour ne pas avoir eu le sentiment de les avoir vécus. On croise le mythe Ingrid Caven et la révélation du septième art d’un des grands cinéastes du XXe siècle, plus proustien que jamais. Une forme d’éducation sentimentale dans un Technicolor enchanteur qui mêle visages et paysages dans la France des années de 70 et de Charles Trénet (au générique). C’est magnifique.
Luc Hernandez (Exit Mag – juin 2023)