Mes petites amoureuses – “Approches du cinéma” – Mercredi 11 oct.

Le 11 octobre à 18h,

Approches du cinéma vous invite à la projection du film de Jean Eustache Mes petites amoureuses et juste après à une rencontre-commentaire partagés en salle 3. Quelques membres d’Approches du cinéma dialogueront avec les spectateurs sur quelques aspects d’un film rare et prenant. C’est ouvert à tous !

18 décembre 1974 en salle/ 2h 03min / Comédie dramatique
Film et scénario de Jean Eustache
Avec Ingrid Caven, Dionys Mascolo, Martin Loeb

SYNOPSIS:

Daniel, est un jeune  garçon taiseux qui observe les filles avec convoitise. Il est élevé par sa grand-mère, à la campagne. Quand il atteint l’âge de 13 ans, sa mère, qui vit avec un ouvrier agricole dans un tout petit appartement à Narbonne, décide de le prendre avec elle. Daniel arrête l’école à contrecœur et entre comme apprenti chez un mécanicien. Il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers qui passent leur temps libre au café, à fumer et à échafauder des stratégies pour séduire les filles.

Mes Petites amou­reuses, le plus beau film à voir de Jean Eustache

Bien sûr, il y a La Maman et la putain et ses quatre heures de discours amou­reux (et érotique) qui n’ont pas pris une ride. Il y a aussi un film haute­ment recom­man­dable et qui pour­tant ne pour­rait sans doute plus voir le jour aujourd’­hui : Une sale histoire, avec Mickaël Lons­dale, qui raconte (sans le montrer) son amour de voyeur pour obser­ver le sexe des femmes à travers un trou dans la porte des toilettes publiques…

Il faut tout voir de Jean Eustache, mais si vous deviez n’en choi­sir qu’un, commen­cez par sa petite merveille d’au­to­bio­gra­phie adoles­centes, Mes Petites Amou­reuses.

Comment faire ? Comment s’y prendre ? N’ayant rien à dire – même à sa mère – et rien encore à faire (un baiser au cinéma nous appren­dra qu’il devien­dra cinéaste), Daniel, alter ego du cinéaste, traîne ses guêtres entre deux demoi­selles et beau­coup d’inac­tion. C’est ce hiatus perma­nent entre une nature avenante, omni­pré­sente, et sa nature à lui, encore impos­sible à assou­vir, qui fait que tout ce qui pour­rait être anodin dans Mes Petites Amou­reuses touche au sublime. Auto­bio­gra­phique, le film d’Eus­tache mêle ses couples fabriqués pour un jour par une tendresse éphé­mère, au milieu des couleurs et des lumières de la nature la plus épanouie. De quoi nous astreindre avec délices au premières désillu­sions, annon­cées en voix-off.

Visages et paysages de l’ado­les­cence

L’im­puis­sance à exis­ter de l’ado­les­cence s’épanche dans une vie végé­ta­tive qui n’a pas besoin, elle, de s’as­sou­vir. Mes petites amou­reuses fait le portrait en creux, de ce manque, ce défaut initial, défi­ni­tif, qui fait qu’on devient artiste. Eustache film les souve­nirs de son Daniel morce­lés par les fondus au noir, hachés par le temps, impos­sibles à enchaî­ner. Rien à faire, qu’à saisir la première fille qui passe pour se rassu­rer de sa mâle assu­rance (eh oui, on est au tout début des années 70…). Dégin­gandé, presque absent, Daniel est toujours obnu­bilé par la même chose. Tous les gens qui l’en­tourent – en bandes ou en couples – se retiennent par des liens d’oc­ca­sion, jusqu’à la terrasse des cafés.

Le film le plus prous­tien de Jean Eustache

Aucune sensua­lité, aucun désir reven­diqués, simple­ment ce besoin de voir comment le monde tourne et si on peut y appar­te­nir. Pour Eustache, évidem­ment, la réponse est non. Et le film tout entier est construit sur cette enfance sans âge, obsti­née, rude et vacante. D’où cette scène comique dans laquelle Daniel se prend litté­ra­le­ment pour un adulte avec le plus brillant premier degré, et décide de monter le même numéro que celui qu’il a vu au cirque, en s’al­lon­geant sur du verre dénudé pour épater les regards autour de lui. Il ne risque pas de faire l’ado­les­cent, il n’a déjà jamais été enfant…

Mes Petites Amou­reuses filme l’au­to­bio­gra­phie d’un cinéaste qui n’a pas eu le temps de gran­dir, déjà à part. Le vert para­dis des premiers émois érotiques qu’on caresse pour voir, et qu’on recons­truit pour ne pas avoir eu le senti­ment de les avoir vécus. On croise le mythe Ingrid Caven et la révé­la­tion du septième art d’un des grands cinéastes du XXe siècle, plus prous­tien que jamais. Une forme d’édu­ca­tion senti­men­tale dans un Tech­ni­co­lor enchan­teur qui mêle visages et paysages dans la France des années de 70 et de Charles Trénet (au géné­rique). C’est magni­fique.

Luc Hernandez (Exit Mag – juin 2023)