Le mandat

Le Mandat, Prix de la critique internationale au Festival de Venise (1968), est une fresque fabuleuse de la nouvelle société sénégalaise après l’indépendance.

Titre original : MANDABI

Réalisateur et scénariste: Ousmane Sembène
Avec: Makhouredia Gueye, Ynousse N’Diaye, Isseu Niang
Année : 1968 (ressorti le 14 juillet 2021)

Synopsis : Un bout de papier vient déployer les plis et replis d’un quartier prétendu solidaire ; le facteur apporte à Ibrahima Dieng une lettre de son neveu, balayeur de rues à Paris, avec un mandat de vingt-cinq mille francs CFA (500F français de l’époque ; 300 euros actuels).

Ibrahima, sans travail et avec femmes et enfants, doit seulement garder 2 000 francs, le reste devant être remis à sa sœur. Mais voilà, la nouvelle se diffuse, rampe… des dettes refont surface ; des envies, des jalousies de femmes, de voisins, de famille éclosent. Entre faiblesse et toute puissance Ibrahima ne peut pas refuser les crédits, les petits services. Mais… mais quand il veut toucher l’argent à la poste, il faut une carte d’identité ! Et il n’en a pas. Ce sera un voyage dans le labyrinthe administratif ; lieu absurde et vénal. Ibrahima se retrouve victime d’un morceau de papier -digne de la boîte à Pandore- qui le laissera plus misérable qu’il n’était.  

Il aura suffi d’un simple mandat pour que se révèlent l’envie, l’hypocrisie et l’opportunisme. Le héros de cette fable à la Maupassant en fait l’amère expérience, plumé, arnaqué, pigeonné par des combines multiples, des chantages déguisés et de menues filouteries. Sous le sourire du conte africain, nous est offerte une comédie sur les illusions et la passivité des bonnes gens, Sembène dénonce les nouveaux profiteurs apparus avec l’indépendance (cadres administratifs corrompus, souvent revenus de France) usant et abusant du pouvoir de l’argent aux dépens des pauvres naïfs et illettrés. Il met ainsi à nu le présent tragique de son pays et parie sur l’avenir, au nom du bon sens du peuple. La verve picaresque est piquante, le constat politique implacable.

A travers ces errances, le masque tombe brutalement sur une société où tout le monde vole tout le monde. « Dans le pays, seuls les malins vivent bien ».

Ousmane Sembène

Il est considéré comme le père fondateur du cinéma africain. Sa personnalité phare, sa conscience intransigeante, son passé d’homme de plume en ont fait un artiste central pour tout un continent. Ses quelques films témoignent de la force d’engagement et de l’esprit tantôt amer, tantôt virulent, tantôt caustique d’un réalisateur pour qui les films ont leurs propres lois, et dont la tolérance se fortifie d’ironie et d’humanisme.

Né en 1923 à Casamance au Sénégal, Ousmane Sembène est connu dans le monde comme le « père » du cinéma africain. Sa carrière couvre plus de cinquante ans, durant laquelle il a produit cinq romans, cinq recueils de nouvelles et il a tourné quatorze films. Issu d’un milieu modeste, comme le peuple pour lequel il essaye de parler en tant qu’écrivain et cinéaste, ses œuvres montrent les luttes et problèmes que les Africains ont dû affronter après avoir gagné l’indépendance. Partisan de la liberté et de la justice politique et sociale pour son peuple, il est décédé en juin 2007 à Dakar.

Principaux titres : Moolaadé (2004), La Noire de… (1966), Le mandat (1968), Xala (1975)

 

Entretien de Madame Fatou Kiné Sène, critique cinématographique avec Clarence Thomas Delgado, assistant de Ousmane Sembène, réalisateur et producteur. Il fait partie de ceux qui étaient les plus proches de Sembène. Son assistant sur tous ses films depuis 20 ans. Il était aussi vu comme le fils adoptif du doyen des cinéastes africains décédé le 9 juin 2007. Clarence Thomas Delgado a adapté au cinéma la nouvelle (à l’époque inédite) Niwaam de Sembène Ousmane.

Extraits : “Le cinéma de Sembène est encore un cinéma artisanal, d’ouvrier. Il faut placer le personnage dans son contexte. Il est parti de rien. Il était un élève turbulent ; il avait giflé son directeur d’école et on l’a foutu à la porte de l’école. Il est devenu pêcheur comme son père, ensuite mécanicien, puis maçon. Il était dans l’armée française aussi où il a voulu casser la gueule à son capitaine : on l’a foutu en taule. À partir de là, il est devenu docker à Marseille, militant à la Confédération générale des travailleurs de France et membre au Parti Communiste Français. Il a commencé à écrire et s’est rendu compte que l’audiovisuel était plus accessible pour le peuple africain. Il est parti à 40 ans faire des études de cinéma à Moscou. En replaçant le personnage dans son contexte, on comprend mieux la personnalité de l’homme. Quand les gens venaient voir Sembène directement, des fois sans me saluer, il les envoyait paître. Ils se tournaient alors vers moi mais je refusais de jouer les intermédiaires car ils m’avaient ignoré et sous-estimé. Son penchant pour les femmes. Chaque film est une partie de Sembène. Il a été élevé par des femmes, a grandi parmi elles. C’est un des rares cinéastes africains à pouvoir aborder les problématiques concernant principalement les femmes.” (5 avril 2009)

Michel Busca

Ce film sera présenté par Michel à la séance du mardi 3 mai à 18h20