La maman et la putain

Film français de Jean Eustache – Ressortie nationale le 8 juin 2022 – 3h40

Sorti en 1973 et blâmé par une partie de la presse et du public, le film culte de Jean Eustache revient sur nos écrans dans une sublime version restaurée (4K) rendant hommage à un trio d’acteurs fascinant.

Jean Eustache a réalisé peu de longs-métrages durant sa courte vie.

Huit ans avant son suicide en 1981, il frappe pourtant extrêmement fort dans la fourmilière du cinéma français de l’époque. Se rattachant à un courant « post-nouvelle vague », la Maman et la Putain tente de creuser et de dépasser cette modernité. La prise de son (son direct) conserve un aspect amateuriste, mais la ville de Paris se retrouve transformée, notamment grâce à la photographie de Pierre Lhomme, empruntant ses contrastes à l’expressionisme du cinéma muet et venant troubler le naturel de certains décors.

C’est l’histoire d’Alexandre, un Jean Pierre Léaud perdu déambulant dans les cafés parisiens, le visage rongé par l’oisiveté et la fumée de cigarette. Il vit avec sa maîtresse Marie (la Maman), inoubliable Bernadette Lafont, et rencontre Veronika (la Putain), vampe à la beauté spectrale brillamment interprétée par Françoise Lebrun, qui va tenter d’apporter un équilibre à sa vie sentimentale ambigüe. Entre son appartement et les cafés, le spectateur se retrouve vite pris dans ses rondes de réflexions solitaires, les étranges relations sociales qu’Alexandre tisse ou disloque avec les femmes.

Les trois personnages parlent de tous les sujets, en particulier de couple et de sexe, dans un langage cru et souvent très littéraire. Aucune place à l’improvisation ici, tant Jean Eustache a souhaité que les acteurs déclament leurs textes le plus précisément possible. Nous sommes loin des scénarios atypiques de Godard et Rohmer, ou encore de l’optimisme de certaines histoires truffaldiennes.

La Maman et la Putain est un film sombre et parfois provoquant, puisant son inspiration dans une matière autobiographique ayant fortement marqué le réalisateur, remettant parfois en cause la libération sexuelle post soixante huitarde dans un discours assez pessimiste.

La durée hors norme (plus de trois heures trente) ne doit pas rebuter : difficile d’imaginer comment Eustache a pensé le montage tant le rythme ne se fait pas sentir et coule à vitesse régulière, nous pendant littéralement aux lèvres des personnages dès les premières minutes. Il faut se laisser porter au gré des discussions, des agressions verbales et des idées qui en émanent, allant bien au delà de leur caractérisation. Le monologue final de Françoise Lebrun impressionne autant par sa tristesse que sa beauté, mais aussi par une violence résonnant à travers les mots.

La Maman et la Putain est définitivement une expérience à vivre en salles, une claque sans équivalent dont on ressort encore bouleversé en 2022.

Jérémy Sulpis

Projection le samedi 24 septembre à 14h30 aux 400 Coups (Film “Play it again”) précédée d’une présentation par Jérémy.

lien pour la bande annonce du film:

https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19596683&cfilm=1373.html#:~:text=MON%20COMPTE-,AccueilCin%C3%A9maTous%20les%20filmsFilms%20DrameLa%20Maman%20et%20la,La%20Maman%20et%20la%20Putain%20Bande%2Dannonce%20VF,-34%E2%80%AF956%20vues