C’est arrivé près de chez vous

De Rémy Belvaux, André Bonzel, Benoît Poelvoorde – Belgique / 1992 / 1h32

Avec Benoît Poelvoorde, Jacqueline Poelvoorde Rappaert, Nelly Rappaert

Faux documentaire où une équipe de journalistes suit Ben, un tueur, qui s’attaque plus particulièrement aux personnes âgées et aux personnes de classes moyennes. Peu à peu les journalistes vont prendre part aux crimes de Ben…

Attention : Film interdit aux moins de 12 ans

CinéCollection -VENDREDI 7 AVRIL à 20h30

CinéCollection est une opération orchestrée par les salles du GRAC pour voyager à travers l’histoire du cinéma, (re)découvrir les œuvres cultes ou plus confidentielles de grands cinéastes et faire vibrer plus que jamais le 7è Art ! Le film fera l’objet d’une courte présentation avant la séance.

Pourquoi il faut (re)voir « C’est arrivé près de chez vous »

Le film culte avec Benoît Poelvoorde en serial killer bas de plafond débarque sur les écrans. Décryptage par un de ses créateurs, André Bonzel. Par Marc Godin (Le Point)

« Des vieux pauvres, ça n’existe pas. Radins, oui. Pauvres, non ! »… En 1992, trois zinzins chevelus et inconnus, Rémy Belvaux (25 ans), André Bonzel (29 ans) et Benoît Poelvoorde (27 ans), mettent un gros coup de pied au culte du 7art, en signant à six mains C’est arrivé près de chez vous. Un faux documentaire, gore et mal élevé, sur un serial killer bas de plafond (Poelvoorde, alias Ben) qui exécute hommes, femmes et enfants entre deux bières. Tourné pendant une année entière, sans budget ni trompettes, mais en famille, ce cocktail Molotov va enflammer la Semaine de la critique lors du Festival de Cannes – la même année que Reservoir Dogs. Lors des projections, les fauteuils des âmes sensibles claquent, tandis que les courageux qui résistent au déferlement de vannes bêtes et méchantes, mais aussi aux meurtres parfois insoutenables, découvrent une pépite en fusion d’une incommensurable drôlerie féroce.

Le trio repart de la Croisette avec pas moins de trois prix : le prix SACD, le prix de la critique internationale et le prix spécial de la jeunesse. Malheureusement, les trois amis signent un contrat avec un vendeur indélicat. Le film va devenir un succès historique mais Belvaux, Bonzel et Poelvoorde ne toucheront jamais les droits d’auteur qui leur reviennent et bientôt, l’amitié se fissure.

Vingt huit ans plus tard, Benoît Poelvoorde renâcle toujours à évoquer C’est arrivé près de chez vous, tandis que Rémy Belvaux s’est suicidé en 2006. C’est donc vers André Bonzel que nous nous sommes tourné pour revenir sur les cinq grandes raisons de (re)voir ce petit chef-d’oeuvre d’humour noir. Une œuvre culte  qui n’a rien perdu de sa force provocatrice.

1. Parce que C’est arrivé près de chez vous a réinventé le faux documentaire

C’est arrivé près de chez vous raconte l’itinéraire d’une petite équipe de cinéma filmant les exactions d’un tueur en série. On voit donc à l’écran Rémy Belvaux, le réalisateur hilare, Vincent Tavier, à la prise son, et André Bonzel, le plus souvent derrière la caméra, discuter avec le tueur incarné par Poelvoorde, interagir ou picoler avec lui. Ce n’est évidemment pas le premier « mockumentaire » (néologisme dérivé du terme anglais mockumentary, signifiant « documentaire parodique ») de l’histoire du 7art : les Monty Python l’ont beaucoup pratiqué à la télé tandis qu’au cinéma, plusieurs titres célèbres du genre ont déjà marqué les esprits, tels que Prends l’oseille et tire-toi (1969) et Zelig (1983) de Woody Allen ou encore Spinal Tap de Rob Reiner (1987 – épatant faux docu sur un faux groupe de heavy metal). C’est arrivé près de chez vous va donner un sacré coup de pied dans le genre, par son côté ultranaturaliste et sa radicalité sans précédent : « On n’avait pas vu Spinal Tap à l’époque, se souvient Bonzel. Mais je connaissais un faux doc britannique sur les guerres napoléoniennes qui date des années 70. Notre idée de départ, c’était de se moquer de l’émission de télé belge Strip Tease, qui faisait passer les gens pour des cons. Et comme on avait vraiment zéro budget, on a adopté la forme du faux doc, car on savait que ce serait bon marché. »

2. Parce que le film a révélé le talent foudroyant de Benoît Poelvoorde

Quand il tourne avec ses deux amis C’est arrivé près de chez vous après un premier court-métrage, Pas de C4 pour Daniel Daniel, Benoît Poelvoorde habite au-dessus de chez sa mère, qui tient une épicerie à Namur, et gagne sa vie comme graphiste. C’est arrivé près de chez vous va libérer toute l’énergie comique démentielle de cet inconnu, que découvrent alors les spectateurs français éberlués. « Benoît avait une puissance de feu phénoménale. Quand on recevait les rushs muets du film, on voyait bien que Benoît était excellent, rien que sa manière de bouger était imparable. C’était clair, c’était un acteur né, il avait un vrai don d’imitation, il était dément. » Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a très peu d’improvisations dans les longues tirades de l’acteur. « Tout était écrit, et Benoît n’improvisait quasiment jamais. Comme on n’avait pas beaucoup de pellicule, on ne pouvait pas se permettre d’essayer des variantes, on ne faisait que le minimum de prises. » L’impact du film va apporter la gloire à Poelvoorde et, accessoirement, lui permettre de rencontrer au Festival de Cannes celle qui deviendra sa femme.

3. Parce que c’est un festival de répliques anthologiques

Massacré par certains critiques, C’est arrivé près de chez vous va vite devenir un film culte quasi instantané, un vrai, dont les fans connaissent les répliques par cœur. Des saillies trash sur les vieux, les nains, les homosexuels, les enfants, les Noirs, les Arabes – qui font légitimement grincer des dents à l’époque (mais qui s’expliquent par la nature même du personnage raciste et homophobe de Ben) et dont la plupart ne seraient certainement plus possibles en 2020. « Rémy a eu l’idée originale, il a écrit la structure, mais les répliques ont été écrites à quatre, avec Benoît et Vincent Tavier. On écrivait ce qui nous faisait marrer. On aimait le côté trash des BD de Vuillemin. On faisait le film pour nous, comme un court-métrage, on n’avait jamais imaginé qu’il pourrait avoir du succès, et donc on s’est lâchés… » Parmi les perles, un beau poème sur les pigeons, une remarque fort désobligeante de Ben (Poelvoorde, toujours) sur l’acné d’un serveur au restaurant, ou la recette d’un cocktail autour du petit Gregory qui, là encore, n’a pas été du goût de tout le monde : « Une larme de gin, une larme. Une rivière de tonic… Et ensuite la p’tite victime, composée d’une petite olive, d’un p’tit morceau d’sucre et d’un p’tit bout d’ficelle. Et nous avons Le P’tit Grégory. » La recette est arrivée à l’improviste, à la toute fin du tournage du film : « On a eu envie de faire une fête de fin de tournage parce que personne n’était payé », se souvient André Bonzel. « Et d’inventer pour l’occasion une boisson qui symbolisait l’esprit du film, d’où Le P’tit Grégory. On s’est tellement marrés que l’on s’est dit qu’il fallait que ce soit dans le film et on a tourné la scène ! »

4. Parce qu’au-delà de la provoc, c’est une réflexion sur la violence au cinéma

C’est arrivé près de chez vous est un drôle d’objet, hilarant et anxiogène. Grâce au dispositif de mise en scène, le spectateur participe, se marre aux blagues et aux exactions du tueur, de plus en plus violentes. Et soudain, lors d’une scène de viol, tout se fige. Malaise. L’assassin et l’équipe technique se rendent chez un couple. Poelvoorde tient l’homme en joue et les membres de l’équipe violent tour à tour une pauvre victime, en riant. La comédie trash se métamorphose alors en Orange mécanique, l’ambiance devient glaçante. « C’était le but. On voulait que le film aille crescendo, que le spectateur s’identifie à l’équipe, soit séduit par Benoît, et que tout bascule », décrypte Bonzel. « Nous voulions ainsi provoquer une réflexion sur la violence, sur ce que l’on voit. La critique nous a reproché cette séquence et elle a été coupée aux États-Unis. L’actrice pour jouer la femme violée, on a mis pas mal de temps à la trouver, ne serait-ce que parce qu’il fallait quelqu’un qui accepte de tourner nue. On l’a dénichée dans le milieu échangiste. Sur le tournage de sa scène, elle nous disait : ”Mais prenez-moi pour de vrai si vous voulez !” » Encore aujourd’hui, la séquence est profondément dérangeante et fait débat, y compris dans les rangs des avocats les plus passionnés du film.

5. Parce que c’est une œuvre rare et toujours forte

Malgré le succès, C’est arrivé près de chez vous est un film rare. « On l’avait produit nous-mêmes et on s’est fait entuber sur la distribution française et internationale. Il y a eu des années de procès avec le mec qui nous a escroqués. C’est arrivé près de chez vous a généré énormément d’argent, avec un total de 500 000 entrées et nous n’avons rien vu ! » La suite est tragique, car le trio explose en vol. Rémy Belvaux est à l’origine du film, mais un carton du générique de fin indique « Un film de » avec les noms de Belvaux, Bonzel et Poelvoorde : « Rémy vivait mal le partage des crédits. Nous nous sommes fâchés, ça a été difficile à vivre, on ne voulait même plus présenter le film dans les festivals. » Après la mort de Rémy Belvaux en 2006, les projections sur grand écran de C’est arrivé près de chez vous resteront rares, puisque nécessitant les signatures de tous les auteurs.

Son visionnage en 2023 confirme que l’œuvre a incroyablement résisté à l’épreuve du temps : c’est toujours aussi drôle, trash, irrévérencieux, Benoît Poelvoorde est toujours aussi ahurissant de naturel, un flingue à la main ou nu sur les dunes de la mer du Nord. En cette époque étranglée par le politiquement correct et la crainte permanente de l’offense, l’expérience s’apparente même à un délicieux bain de jouvence qui lave les yeux et actionne les zygomatiques. Pour André Bonzel, « le film est toujours contemporain et pertinent. On nous a reproché d’être obscènes, mais ce n’est rien à côté de l’obscénité de la télé-réalité. Le film offre une vraie réflexion sur la violence au cinéma, sur ce que l’on peut montrer ou pas, avec une mise en abyme. Et pour les jeunes spectateurs qui ne connaissent Benoît que dans Astérix ou les films où il joue les amoureux éconduits, le choc risque d’être rude !… »