La Ballade de Narayama

Narayama bushikō de Shôhei Imamura .Drame. 2 h 10 min. 28 septembre 1983 (France)

Avec Ken Ogata, Sumiko Sakamoto, Tonpei Hidari

Seconde adaptation de nouvelles de Shichiro Fukazawa, LA BALLADE DE NARAYAMA, version Shôhei Imamura, s’impose comme une œuvre radicale dans sa volonté de cerner les instincts primitifs de l’humanité. Imamura s’éloigne ainsi fortement de la version proposée en 1958 par Keisuke Kinoshita, davantage portée par un académisme poétique et une esthétique irréaliste proche du théâtre kabuki. La modernité de la version d’Imamura permet d’orienter ce récit sur le respect des traditions vers une dimension beaucoup plus cruelle, réaliste, désacralisée et désenchantée.

LA BALLADE DE NARAYAMA construit ainsi sa trame autour de la pratique de l’« ubasute », coutume extravagante consistant à abandonner un parent âgé dans un milieu isolé (une montagne comme une forêt) où il serait voué à dépérir jusqu’à une mort certaine. Véridique ou simple légende ? Difficile de le savoir précisément. Mais Imamura se sert de cette base pour dépeindre un Japon réaliste qui semble pourtant n’avoir jamais existé. Famine, archaïsme, saleté et traditions composent cet univers pas très reluisant. A 70 ans passés, Orin (Sumiko Sakamoto) est résolue à se rendre au mont Narayama pour mourir. Et ce n’est ni sa bonne santé ni son fils qui l’empêcheront d’effectuer ce pèlerinage vers la mort; un voyage initiatique sur un mont Narayama qui a des allures de mont Fuji.

Imamura se rapproche là de l’intensité cinématographique de Werner Herzog ; dans cette difficile ascension où Tatsuhei (interprété par l’excellent Ken Ogata) se confronte à la puissance physique de la Nature. Portant sa mère sur son dos, l’accompagnant vers la mort, Tatsuhei tente de renouer les liens : corps contre corps, c’est une dernière étreinte qui nous est donné à voir. Cette proximité marque la puissance de l’amour filial : comme la mère donne naissance au fils, c’est au fils d’enterrer sa mère. Muet, le voyage se passe de mots tant il convoque en lui seul des restes d’humanité. Plus encore, il marque l’apaisement, l’éloignement de l’enfer.

Une bouche en moins à nourrir, c’est toujours la survie qui domine ce monde. La ballade devient alors réelle, chantonnée par des habitants qui font d’Orin une légende, une pensée, un esprit. La pureté se dépose alors encore sur la vallée en attendant d’être souillée, une nouvelle fois, par cette humanité à la dérive.

Michel Busca

La Balade de Narayama sera présentée par Michel à la séance du jeudi 5 mai à 18 heures.

 

 

Shohei Imamura, cinéaste japonais

Le cinéaste japonais Shohei Imamura, deux fois Palme d’or au Festival de Cannes, est mort mardi 30 mai 2006, à l’âge de 79 ans. Né à Tokyo le 15 septembre 1926, ce fils de médecin avait fait des études de lettres et écrit des pièces pour le théâtre de son université lorsqu’il entre au studio Shochiku en 1951, où il est assistant d’Ozu.

En 1954, il passe dans un studio concurrent, la Nikkatsu, il seconde Kawashima, il écrit aussi des scénarios. Il signe son premier film, Désir volé, en 1958. Dès lors il commence à résister à ses producteurs qui voudraient lui imposer des films de commande.

Idéaliste, rebelle, attiré par les sujets dérangeants, Shohei Imamura finira en 1966 par résilier son contrat avec la Nikkatsu pour fonder sa propre maison, Imamura Productions, l’une des premières sociétés de production indépendantes. En 1974, il crée une école de cinéma, l’Institut de Yokohama, qu’il déménage en 1986 à Shin Yurigaoka et qui se nomme désormais Académie japonaise des arts visuels.

Désir inassouvi (1958), Cochons et cuirassés (1960), La Femme insecte (1963), Désir meurtrier (1964), Le Pornographe (1966), L’Evaporation de l’homme (1967), Profonds désirs des dieux (1968), L’Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar (1970) : les titres des premiers films d’Imamura nous montre qu’il a planté sa caméra dans un monde de frustrations et d’enfermement, un monde en marge de l’histoire officielle, un monde opprimé dont les aspirations se heurtent violemment aux règles sociales.