Comment le film Soy Cuba a été perçu au fil des ans

Quelques éléments d’information à l’usage de ceux qui ont pu voir le film aux Quatre Cents Coups lors de la séance unique du 27/01 (et pour les autres!).

Dès le lendemain de la révolution cubaine (1959), l’URSS et Cuba conviennent de réaliser un film destiné à soutenir la nouvelle république. Moscou a toujours considéré le cinéma comme la première arme de propagande. Lénine : « De tous les arts, c’est le cinéma qui est pour nous le plus important » (1933). Voir les films de Vertov, de Poudovkine, d’Eisenstein. Le choix se porte sur deux hommes considérés comme les meilleurs créateurs : un réalisateur, Kalatozov (Quand passent les cigognes, (1957), un co-scénariste, Evtouchenko, le poète de la période dite du dégel. Ils partent à Cuba en 1961. Le tournage va durer deux ans, non sans difficultés multiples. Outre les conséquences du blocus américain, les relations entre l’île et la Russie se sont quelque peu dégradées. Le peuple cubain n’apprécie pas toujours la présence de l’équipe soviétique. « Des femmes faisaient la queue pour des boîtes de raisin bulgare, explique l’un des scénaristes, et nous regardaient avec haine en criant : « Russes, rentrez chez vous ! ». On a donc décidé de faire un film, non pas sur le Cuba contemporain, mais sur le début de la Révolution ».

1964 : Avant-premières simultanées de Soy Cuba à Moscou et à la Havane. Le public est déconcerté. Moscou comme la Havane condamnent une œuvre jugée complaisante, dans sa première partie, à l’égard du régime de Battista, jugent la représentation de la société cubaine erronée et déplorent le « formalisme » de Kalatozov : plans complexes, cadres recherchés, angles et mouvements d’appareil singuliers. Le film ne sera programmé ni à Cuba ni en URSS, pas plus qu’il ne le sera bien évidemment aux Etats Unis. Il tombe dans l’oubli.

En 1992, Scorsese, qui a eu vent de l’existence de Soy Cuba, se rend à Moscou d’où il en rapporte une copie. Il s’extasie devant sa qualité plastique et déclare : « C’est l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma » ; Soy Cuba est présenté dans divers festivals (Festival international du film de San Francisco, Festival de Telluride…) avec grand succès. Scorsese ainsi que Coppola, également séduit, veillent à sa distribution américaine.

Soy Cuba arrive en France en 2003 et obtient l’année suivante le prix de la découverte au Festival de Cannes. Une copie restaurée en 2020 en permet une large diffusion dans les salles à partir de 2022. Le film commence une belle carrière dans les circuits Art et Essai, où les spectateurs peuvent apprécier tout à la fois la beauté de son écriture et sa valeur de témoignage historique à travers des récits fictionnels très documentés sur les périodes  prérévolutionnaire et révolutionnaire.

G.R.