Autour du film « Le tableau » de J-F Laguionie

Quelques remarques en guise d’introduction à un film d’animation

« Dessin animé » est un terme réducteur. Nous parlerons plutôt ici de FILM D’ANIMATION, c’est à dire d’un récit composé de vues prises image par image pour donner l’impression de mouvement. Ce qui peut inclure, outre les dessins sur celluloïd enregistrés à l’aide d’une multiplane qui crée l’illusion de profondeur, l’emploi de figures sculptées dans la plasticine ou autre matière malléable, de papiers découpés, de poupées, voire de personnages bien vivants.

Le film d’animation est né très peu après l’invention du cinématographe.

Mélies l’utilise pour ses  » films à trucs », par exemple pour l’Homme à la tête de caoutchouc ; Emile Cohl crée le premier personnage de film d’animation, le fantoche, une silhouette dessinée en quelques traits.

Ces films, au début, sont réalisés par un homme seul ou à la tête d’un petit studio.

Mais le travail est tel que des équipes considérables se mettent au travail (Walt Disney, Los Angeles, 1923). Toutefois des réalisateurs solitaires continueront à travailler: Trnka (Tchécoslovaquie), Grimault et son célèbre Le Roi et l’Oiseau,  Jean-François Laguionie à ses débuts. C’est que le travail nécessaire à la réalisation d’un film d’animation est considérable: des milliers d’images à produire une à une, toutes sortes de compétences: scénariste, dessinateur, animateur, gouacheur, cameraman….

C’est une erreur de croire que le film d’animation est destiné exclusivement à un public enfantin. Il peut avoir une ambition esthétique, sociale, politique et s’adresser davantage à des adultes. A cet égard les films de J-F Laguionie s’offrent, eux, à tous les publics.

Guy Reynaud

Le tableau de Jean-François Laguionie (animation – 1h16)

SYNOPSIS:

Un château, des jardins fleuris, une forêt menaçante, voilà ce qu’un Peintre, pour des raisons mystérieuses, a laissé inachevé. Dans ce tableau vivent trois sortes de personnages : les Toupins qui sont entièrement peints, les Pafinis auxquels il manque quelques couleurs et les Reufs qui ne sont que des esquisses. S’estimant supérieurs, les Toupins prennent le pouvoir, chassent les Pafinis du château et asservissent les Reufs. Persuadés que seul le Peintre peut ramener l’harmonie en finissant le tableau, Ramo, Lola et Plume décident de partir à sa recherche. Au fil de l’aventure, les questions vont se succéder : qu’est devenu le Peintre ? Pourquoi les a t-il abandonnés ? Pourquoi a-t-il commencé à détruire certaines de ses toiles ! Connaîtront-ils un jour le secret du Peintre ?

 

 

Formidable film d’animation, d’une richesse et d’une originalité sans pareilles. À partir d’une rêverie sur l’art, tout en mises en abyme, le récit se déploie dans deux directions thématiques : allégorie sociopolitique sur la discrimination et le pouvoir ; métaphysique emboîtée façon poupées russes, à la recherche du (des) créateur(s). Le grand talent d’Anik Le Ray (scénariste) et de Jean-François Laguionie (réalisateur) est d’avoir su aborder cette matière riche, ambitieuse, avec une simplicité et une fluidité remarquables, au gré d’aventures ludiques, où l’on va de tableau en tableau, d’un chant de bataille au carnaval de Venise, à la découverte de mondes parallèles. L’ensemble prend ainsi la forme d’un joli conte philosophique, offrant plusieurs niveaux de lecture, pour les petits et pour les grands. Tout en douceur et en couleur, le film démonte ainsi les préjugés, l’intolérance, les formes d’exclusion, les abus de pouvoir, et s’impose au final comme une ode à la liberté et à la curiosité intellectuelle, qui doivent aider à ne pas avoir peur de l’inconnu, à relativiser son savoir et à dépasser les frontières. C’est comme un petit abrégé de la philosophie des Lumières, diffusé par des personnages-symboles qui sont croqués avec suffisamment de sensibilité pour que jaillisse une humanité attachante. L’intelligence et la sensibilité, sur le fond, trouvent un bel écho sur le plan formel, via une habile variation entre différents styles picturaux et différents types d’images. Au gré des paysages et des personnages rencontrés, les dessinateurs convoquent, entre autres, Matisse, Derain, Bonnard, Modigliani, Giacometti, Cézanne, Picasso (on peut s’amuser au petit jeu des références), tandis que le réalisateur jongle avec plusieurs textures (peintures à l’huile, images de synthèse, prises de vues réelles), en les superposant parfois, pour matérialiser plusieurs niveaux de réalité au fil de la narration. Une brillante composition, à tout point de vue.

Séance unique le samedi 8 janvier à 18 heures dans le cadre du partenariat Peinture et Cinéma avec le musée Dini.