Le théâtre baroque et le dernier film d’Eugène Green.

Petit retour sur le dernier film d’Eugène Green, qu’on a pu voir les 22 et 26 avril au cinéma Les 400 Coups: Atarrabi et Mikelats.

On sait qu’Eugène Green, avant de se consacrer au cinéma, a beaucoup travaillé à la mise en scène théâtrale. Fondant une troupe baptisée La Sapience, il remit à l’honneur les principes du théâtre baroque d’usage en France au XVII° siècle. Ce baroquisme est présent dans ses films tant par leurs thèmes que par la forme qu’il leur prête. Cela est manifeste dans Atarrabi et Mikelats, plus sans doute que dans aucune autre œuvre cinématographique de Greene. Il est d’autant plus étonnant que les nombreux écrits critiques qu’a suscités ce dernier film de l’auteur ne soulignent pas cette caractéristique essentielle. Jugeons-en.

Le théâtre baroque rompt avec le théâtre classique qui le précède par l’abandon de la recherche de la vraisemblance au profit de l’illusion, du merveilleux. C’est l’illusion qui permet l’expression de la vérité, comme l’illustrent, par exemple, l’apparition du fantôme paternel dans Hamlet ou la statue du commandeur dans Don Juan. La vie n’y prend son sens que par la peinture de la mort. On ne peut qu’être frappé par le fait que ce trait essentiel du théâtre baroque s’applique très exactement à Atarrabi et Mikelats.

Et que dire de la forme ? La mise en scène baroque favorise la violence, la brutalité, l’irrationnel incontrôlable. Ainsi les « machineries » descendant des cintres ou surgissant de quelque trappe y sont d’un emploi courant. Dans le film de Green, les mystérieuses apparitions lumineuses dans la nuit au cimetière ou le fracas du tonnerre dans la tempête qui menace le Pays basque, sont proprement shakespeariens.

Comme au théâtre baroque, le décor, le vêtement et plus spécialement les couleurs, soulignent le caractère des personnages. Vert pour Mari et ses enfants jeunes. Rouge pour le diable et Mikelats son disciple. La couverture des livres que possèdent les uns ou les autres est à l’avenant. Bleue et marron est la tenue d’Atarrabi quand le prieur du couvent lui confie le rôle d’intermédiaire entre les choses du ciel et celles de la terre.

La chorégraphie des danses, la musique, si importantes dans le théâtre du 17ème siècle, vont, chez Green, marquer le contraste entre le monde luciférien de la débauche et la joie simple des paysans basques.

On notera aussi le jeu frontal qu’affectionne Green dans ses films, notamment les gros plans de visages qui ont tant choqué certains critiques. Ils sont l’équivalent d’une caractéristique de la mise en scène baroque où l’acteur face au public, face au roi parfois, les prenait à témoin de ses émotions.

Et puis, bien sûr, il y a la diction des comédiens, le souci de l’articulation parfaite, de l’intonation juste, du rythme de la phrase, qui frappent le spectateur des salles de cinéma aujourd’hui comme ils ravissaient celui du théâtre baroque jadis. Ce traitement de la parole irrite encore beaucoup de monde au 21ème siècle. Certains ont du mal à accepter qu’un film puisse transcender une réalité.

Dans ses Notes sur le cinématographe, Robert Bresson écrivait : « Rien n’est plus faux dans un film que ce ton naturel du théâtre recopiant la vie et calqué sur des sentiments étudiés. »

Guy Reynaud