Le devenir des salles d’Art et Essai.

Deux communications récentes, que certains ont peut-être déjà lues.

Une émanant de L’Institut Lumière, l’autre émanant des cinéastes de l’ACID. Deux positions tranchées sur la préoccupante question du devenir des salles de cinéma et la transformation de l’industrie cinématographique.

.Quid de la spécificité française (chronologie des médias, participation financière des plateformes à la création d’œuvres cinématographiques)? du cinéma d’auteurs? des sociétés de distribution?

Le débat est ouvert et loin d’être clos!!

N’hésitez pas à donner votre avis par mail (contact@l’autrecinema.fr)

 

Les actualités de l’Institut Lumière : Décembre 2021: De Jane Campion à Paolo Sorrentino, une sélection de neuf films inédits en salles de cinéma en France. L’occasion de les découvrir magnifiés par le grand écran. 

Pendant une semaine, du mardi 7 au mardi 14 décembre 2021, l’Institut Lumière accueillera la projection des premiers films de Rebecca Hall, Maggie Gyllenhaal ou Jeymes Samuel (qui signe un western impétueux) ; le très attendu Adam McKay réunissant Timothée Chalamet, Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence ; La Main de Dieu de Paolo Sorrentino, Grand Prix du Jury à la Mostra 2021 ; les nouveaux films de Sam Levinson ou d’Antoine Fuqua avec Jake Gyllenhaal ; l’expérience américaine du réalisateur hongrois Kornél Mundruczo. Et, pour continuer à célébrer celle à qui les Lyonnais ont remis le Prix Lumière 2021, nous projetterons à nouveau The Power of the Dog de Jane Campion.

Ces neuf films nous ont été proposés par la plateforme Netflix qui montre rarement ses productions au cinéma. Nous en avons déjà accueilli quelques-unes : Roma d’Alfonso Cuaron, The Irishman de Martin Scorsese ou Five Came Back de Laurent Bouzereau au festival Lumière. Nous avons également projeté, venus d’autres plateformes, le film de Sofia Coppola (On the rocks, en 2020) ou celui de Todd Haynes (The Velvet Underground, en octobre dernier), produits par Apple.

La salle de cinéma est la plus belle invention de Louis Lumière. Les plateformes, dont les œuvres sont destinées au petit écran, veulent – c’est inédit ! – les magnifier sur le grand, et qu’elles soient vues de la meilleure manière par un public de cinéphiles. Nous saisissons ce désir de cinéma et l’opportunité de montrer ces films au public lyonnais. On félicitera ou on désapprouvera ce type d’initiatives – au sujet des plateformes et de la place qu’elles occupent désormais dans le paysage, les débats sont nombreux et passionnés. La Cinémathèque française (qui accueille aussi cette programmation) et l’Institut Lumière sont des laboratoires qui entendent mener toute expérience destinée à réfléchir au cinéma de demain, autant qu’elles valorisent le cinéma d’hier. Pour que ni l’un ni l’autre ne disparaissent.

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Communication des Cinéastes de l’ACID- Publié le mardi 26 octobre 2021.

Le 14 mars dernier, 22 salles de cinéma ont ouvert leurs portes aux spectatrices et aux spectateurs, en un généreux et provocateur geste de refus contre une législation insensée qui maintenait fermés les lieux de culture. L’ACID était partie prenante de cette manifestation faite au nom d’un axiome simple : les films de cinéma n’existent que s’ils sont vus dans des salles de cinéma. 

Depuis la réouverture des salles au début de l’été, on peut assister à un effarant jeu de massacre dans lequel une portion très congrue de films occupe une écrasante majorité d’écrans, les autres titres tentant de trouver leur place dans le peu d’espace restant, bataillant pour durer dans les salles, durer un peu, encore un peu… 

Une approche strictement comptable de la situation – lue au prisme du nombre d’entrées – ne peut que provoquer le découragement et la colère. Alors, il faut nous rappeler, quand le désespoir guette, qu’au-delà des chiffres, il se joue, dans les cinémas, du sensible, de l’humain, du contact, du désir. Rien moins que tout cela – et c’est immense. C’est cet idéal que nous portons à l’ACID. Derrière chaque entrée, nous mesurerons l’intensité de ce qui se noue entre les œuvres et les spectateurs·trices. Cet idéal, nous le partageons avec nos ami·e·s distributeurs·trices, et exploitant·e·s de salles de cinéma.

Mais avec qui le partageons-nous encore vraiment ? Quand l’Autorité de la Concurrence atteste de la sous-régulation du secteur de l’exploitation, quand la Cour des Comptes pointe le déséquilibre révoltant entre salles de cinéma et autres acteurs de la filière dans le fléchage des fonds de relance, quand enfin, on apprend que certaines salles – notamment Art et Essai – envisagent d’organiser un festival d’avant-premières de « contenus » produits par Netflix, il est permis et nécessaire de s’interroger sur ce qu’il nous reste, ou pas, en commun.

Quoiqu’on pense des productions de Netflix, elles n’ont rien à voir avec du cinéma. Si se payer la griffe d’un·e cinéaste peut « faire cinéma », ça ne fait pas du cinéma. Ça n’a rien à voir. Au bout du compte, le « contenu » sera présenté sur un étalage qui offre indifféremment ad nauseam téléréalités, séries, reportages, dans une logique implacable de saturation, voire d’étouffement du consommateur.

À partir de là, présenter ces films en salle comme s’ils relevaient du cinéma, faire de la salle une simple vitrine, c’est avoir renoncé au cinéma lui-même comme forme d’art et espace de rencontres. C’est ne plus y croire. C’est ne plus croire au spectateur et à son regard. C’est avoir peur de ce que le cinéma pourrait nous amener à découvrir : la part d’altérité en nous-mêmes, l’ouverture à ce qui n’est pas nous, et le goût de cette ouverture. Et ainsi, Netflix – et les autres plateformes – tisse cyniquement autour de nous la toile de son technococon, histoire de mieux nous maintenir chez nous : surtout, ne sortez pas !

Tout cela pourrait n’être pas grave si les salles de cinéma complices de cette idée navrante ne se prévalaient pas de soutenir la création cinématographique. Comment peut-on se croire salle « d’Art et d’Essai », voire de « Recherche » lorsqu’on a abdiqué à ce point l’idée de l’Art, de l’Essai, et de la Recherche pour leur préférer des produits de consommation de masse et revendiquer ce geste comme une ouverture ? Il faut être bien cynique…

À ceux qui refusent la responsabilité qui leur incombe – être une salle Art et Essai implique des devoirs quant à la défense de l’indépendance, de la diversité des œuvres – disons-leur que là où ils abdiquent, nous continuerons de nous battre, pour une raison toute simple : nous sommes le cinéma, et cette certitude nous fonde, quand nous prenons la caméra ou bien quand nous allons montrer nos films en salle. À eux de se demander s’ils sont, encore, du cinéma.

textes proposés par Sylviane Llobell.