DE GRANDES ESPERANCES

Un article tiré du Petit Bulletin de Lyon à propos de ce film, programmé aux dernières Rencontres et brillamment présenté par son réalisateur Sylvain Descloux  (en sortie nationale au cinéma Les 400 Coups).

 

Un film de Sylvain Desclous (Fr, 1h45) avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot… Sortie le 22 mars

Drame – Un jeune couple en chemin vers les hautes sphères se trouve mêlé à un fait divers l’obligeant à confronter ses idéaux à la morale et à la justice. Sylvain Desclous signe un thriller doté d’une distribution parfaite dynamitant les hypocrisies, compromis et compromissions des politiciens de métier.

Révisant l’oral de l’ENA dans la luxueuse résidence des parents d’Antoine, son compagnon, Madeleine se voit déjà dans un ministère où elle pourra mettre en pratique ses grandes idées de gauche. Mais un événement inattendu vient chambouler le programme : une embrouille causée par Antoine avec un insulaire, conduisant Madeleine à commettre un geste fatal. Désormais liés par le sang et le silence, les deux jeunes gens doivent composer avec leur conscience. Mais aussi leurs ambitions respectives…

 

On prête à Edouard Herriot un aphorisme certes trivial mais ô combien parlant : « la politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop ». À l’image de Cloaca de Wim Delvoye, De Grandes Espérances montre de manière transparente comment la politique peut transformer des individus en apparence normaux en fumier — certes, d’aucuns présentent des prédispositions naturelles — ou salir ce qu’il y a de pur et d’intègre en eux.  Remarquablement écrit, ce film de Sylvain Desclous agit en deux couches ; deux styles de thriller qui vont usiner psychologiquement Madeleine et Antoine. À une première partie anxiogène flirtant avec le réalisme magique suit une seconde plongeant dans le marigot des intrigues et des coups bas. Tout sonne juste.

Illusions perdues

Depuis L’Exercice de l’État (2011) de Pierre Schoeller, on n’avait pas vu de “fiction” disséquer de manière aussi subtile les arcanes torses de la VRépublique… ainsi que le dévoiement de ces grands corps chargés de permettre à l’État d’assurer la pérennité de son fonctionnement démocratique. Prenons L’ENA : censée former des serviteurs dévoués à l’intérêt général pour qui le pouvoir doit être un moyen et non une fin, elle sert désormais de rampe de lancement aux ambitieux avides de détenir un maroquin le plus tôt possible.

Ici, il devient même inutile de réussir son fameux concours pour accéder au sérail politique : l’entregent fait office de diplôme, la reproduction des élites court-circuite la méritocratie. Et que dire de l’idéologie ! L’action publique est guidée par de personnalités politiques n’incarnant pas des choix de société mais des individus interchangeables aux opinions d’une effrayante plasticité.

Dans De Grandes Espérances, Madeleine et Antoine (excellent duo Rebecca MarderBenjamin Lavernhe) en apparence philosophiquement proches se retrouvent ainsi à œuvrer chacun pour des projets sociétaux opposés ; est-ce à ce moment que leurs chemins se séparent ? L’une est une transfuge des classes populaires (ayant déjà du mal à renouer avec son  milieu d’origine) devant son élévation à “l’ascenseur social“, l’autre baigne dans le confort bourgeois ; l’une est portée par des aspirations collectives, l’autre vise son statu quo personnel ; l’une est encore ingénue, l’autre déjà cynique. En fait, les différences d’orientations idéologiques s’ajoutent à des différends structurels beaucoup plus profonds.

En parallèle de leur baptême du feu empreint d’une forme de candeur excusable, Sylvain Desclous dépeint l’itinéraire d’une députée rompue au métier, pourtant aussi ductile que les autres. Emmanuelle Bercot l’interprète avec une crédibilité stupéfiante — et l’on pourrait mettre mille noms derrière son personnage : législature après législature, on a tant observé de parlementaires jadis indéfectiblement liés à leur parti troquer leur écharpe contre un plat de lentilles — enfin, contre quelque strapontin ministériel. Feignant de croire qu’ils garderont intactes leurs convictions, ils osent parfois proclamer (vaste blague) que leur hochet d’idiot utile leur permettra d’agir plus efficacement (“de l’intérieur”) sur le système. Les promesses n’engagent que ceux y croient.

Un film de Sylvain Desclous (Fr, 1h45) avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot… Sortie le 22 mars