
Film de PAULINE LOQUES (France / 2025 / 1h36)
Avec: Théodore Pellerin, William Lebghil, Salomé Dewaels
Synopsis: Dans trois jours, Nino devra affronter une grande épreuve. D’ici là, les médecins lui ont confié deux missions. Deux impératifs qui vont mener le jeune homme à travers Paris, le pousser à refaire corps avec les autres et avec lui-même…
L’avis de Patricia (groupe Programmation de l’Autre Cinéma)
Film très touchant, le personnage joué par l’acteur (Théodore Pellerin), nous fait vivre ce moment difficile qu’il doit affronter, puisqu’il vient de découvrir qu’il a un cancer, avec beaucoup de sensibilité. Le temps prend alors une autre dimension, il erre dans le silence au début, les mots ne lui parviennent pas. Il ménage les autres. Et peu à peu on le découvre, il croise sur ce chemin, des personnes très proches de lui, qui seront très présentes et aimantes.
«Nino», chaviré en ville
par Laura Tuillier (Libération)
Porté par la révélation Théodore Pellerin, le premier long métrage de Pauline Loquès dessine le portrait sensible d’un jeune homme lambda dont le quotidien se déforme lentement lorsqu’il apprend être atteint d’un cancer.
Nino, dont le prénom est pourtant l’étendard du premier film de Pauline Loquès (présenté à la dernière Semaine de la critique cannoise) ne sait pas ce qui lui arrive, on dirait même qu’il s’est trompé de film, comme on se trompe sur le lieu d’un rendez-vous : l’espace d’un instant on ne comprend pas ce qu’on fait là, d’où vient la méprise, à qui la faute. En réalité, après un imbroglio administratif, l’hôpital où il vient chercher de simples résultats d’analyse lui réserve une mauvaise surprise de taille. Nino a le cancer. Comme dans une chanson de Souchon, Nino demande s’il va mourir.
A partir de là, dans l’espace du week-end qui le sépare de sa première séance de chimio, le personnage ne va cesser de prendre de l’épaisseur, lui qui au départ n’était qu’une ombre parmi la foule parisienne, un mec sans histoire, affublé d’un boulot «hyper chiant», et de potes et d’une mère comme on en a tous. Le film joue sur la corde du quotidien qui se déforme lentement sous l’influence de cette nouvelle plus grande que tout et qui reste en même temps une menace invisible, totalement abstraite («je n’ai pas de symptôme», ne cesse de répéter notre malchanceux).Portrait de la capitale contemporaine
Très fin, bien construit sans forçage trop apparent de son scénario soigneusement tramé, Nino orchestre une dynamique subtile entre intérieur et extérieur, dissimulation et expulsion. D’un côté, Nino est comme la pièce d’un puzzle qui ne rentre plus nulle part – à commencer par chez lui, il a perdu les clés – de l’autre, il a soudain des choses à faire sortir et qui résistent – le sperme pour espérer un jour pouvoir avoir un enfant, et l’annonce de sa maladie à ses proches qui, eux, ne voient pas venir le mélo et pensent tenir leur place dans une comédie douce-amère sans prétention. Arrimé à la deadline du lundi matin (comme jadis Cléo à l’horizon des sept heures dans le film de Varda, dont il est un lointain remake), le film a le talent de filmer de beaux personnages secondaires tout autour de son astre, à commencer par le meilleur ami, très bon William Lebghil, d’abord incrédule et blagueur avant de se hisser à la hauteur du drame dans une scène finale assez déchirante.
Nino, c’est également le portrait de la capitale contemporaine, d’un certain rythme propre à la rive droite, des couloirs de la ligne 14, de la vie incessante qui n’arrêtera pas son mouvement parce que l’un des siens est en galère, comme un cœur qui ne peut pas se permettre de rater un battement. De nuit en banlieue à fête chez les potes, de passage chez une ex aux retrouvailles avec une amie de collège, Pauline Loquès réussit à charger toutes les étapes du trajet de Nino pour qui plus aucune situation n’est banale, et ménage de beaux acmés d’émotion, comme le geste qu’il imprime sur la joue d’une compagne d’un soir (mais quel soir) et qui est à la fois une caresse et un aveu.
Air de tête à claques angélique
Car peu à peu, à force de jouer au chat à la souris dans Paris avec la nouvelle qu’il encaisse, Nino va s’y confronter : c’est la porte du gardien qui finit par s’ouvrir sur un corps au sol, inanimé, c’est aussi les moments où le jeune homme semble déjà fantomatique, comme lorsqu’on ne remarque pas sa présence sur le palier de la fête qu’on a pourtant organisée pour lui. Tout entier bâti autour et avec son interprète principal, Nino s’élève avec la grâce de Théodore Pellerin, pierrot lunaire à la fois ultrasensible et soudain absent à lui-même, désinvolte et chaviré, qui balade son air de tête à claques angélique de situation en situation, de rencontre en rencontre, porté soudain par la vague du destin.
Car au fond la belle et simple question de Nino tient à celle de l’identité : qu’est-ce qui fait de lui une personne soudain à part, par quel maléfice a-t-il été sorti de la masse anonyme et comment ce jeune homme lambda, presque générique, trouve-t-il sa singularité dans l’épreuve qui l’attend. «C’est moi», dit-il à la fin, car ce n’est que le début.